Lors de la première guerre mondiale, les pertes sont tellement énormes que, pour remplacer les soldats disparus, toutes les méthodes possibles sont utilisées. La première est tout simplement de vérifier si les réformés pour maladie grave, sont réellement malades.
Le 16 avril 1917, le sous-préfet de Vendôme demande une vérification, par la gendarmerie, de l’état de santé de Kleber Laroche, exempté pour idiotisme. Le 21 avril, le brigadier Auguste Eugène Guillon et le gendarme à cheval Rémy Vidon, se rendent à Saint-Amand, Loir-et-Cher, pour enquêter sur son cas.
Kleber Henri Laroche est né à Longpré, le 28 mars 1892. Il est le troisième et dernier enfant d’Omer Laroche et Marie Sidaine. A l’âge de trois ans, il a souffert de crises de convulsions qui ont endommagé son cerveau. Suivant les critères de l’époque, il est devenu idiot. Ses parents l’ont fait soigner par différents médecins, sans succès. Aucun n’est parvenu à le soigner. Son père témoigne devant les gendarmes, que son fils n’a pas toutes ses facultés mentales. Il lui est impossible de le laisser seul pour travailler ou tout autre chose. Il se montre méchant lors de ses crises de démences, au point que son père a voulu le faire interner dans un asile d’aliénés.
Dit-il la vérité ? Ou essaye-t-il de protéger son dernier fils. Omer Eugène, son fils aîné, est parti à la guerre. Il est porté disparu depuis le 22 août 1914, la bataille de Signeulx, en Belgique, où une grande partie de son régiment, le 113e régiment d’infanterie, a été décimé. Il l’ignore encore mais on le retrouvera jamais. Il sera déclaré mort par jugement du tribunal de Vendôme, le 29 juillet 1920 et inscrit au tableau spécial de la médaille militaire à titre posthume, croix de guerre étoile de bronze, le 9 mai 1922. Son gendre, Henri Adolphe Rousselet a été également porté disparu, un mois après Omer. Lui aussi était du 113e, mais il a eu plus de chance ; il a été fait prisonnier à Grafenwöhr et il rentrera au pays, une fois la guerre terminée.
Les gendarmes ne peuvent pas se contenter du seul témoignage du père, ils vont donc interroger les voisins.
Arsène Boutard, cinquante-six ans, cultivateur à Longpré, enfonce le clou : “Kleber est idiot depuis son enfance, depuis une maladie infantile avec fièvre et convulsion. Mais même sans cela, il y a des tares héréditaires dans sa famille. Ses parents et ses grands-parents maternels sont simples d’esprit…” . Avec cela, la famille est habillée pour l’hiver !!
Un autre voisin, Arsène Poussin, soixante-treize ans, rentier à Longpré, précise que Kleber est tellement idiot que son infirmité ne peut pas être suspectée, ce n’est pas un simulateur. Il est méchant pendant ses accès de folie et représenterait un danger pour ses chefs et ses camarades s’il partait à l’armée.
Le maire de la commune parachève le tableau. Jules Jeuffray, soixante-trois ans, indique qu’il connaît très bien Kleber, qui a toujours habité dans sa commune. Il ne jouit pas de la plénitude de ses facultés mentales, il est anormal et complètement illettré. Son infirmité est réelle et non fictive.
Difficile après cela de croire au complot pour épargner la guerre à un jeune du pays. Kleber va donc rester au pays. Il y décédera le 27 août 1969.