Je ne le répéterai jamais assez, mais la neutralité de l’état civil cache des drames que l’on ne peut que soupçonner, à sa lecture. Il faut être attentif aux détails, guetter la moindre anomalie, même minime, la moindre coïncidence.

sargé

C’est le cas de Sargé-sur-Braye. Les actes de décès de la commune indiquent que Jean Désiré Chauvin, trente-six ans, Louis Baptiste Hallery, cinquante-et-un ans, Louis Honoré Prégent, quarante-trois ans, François Etienne Mauclair, vingt-quatre ans et Simon René Rollon, trente-quatre ans, sont décédés le 24 novembre 1870. Les trois premiers sont décédés à quatre heures du soir et les deux derniers à trois heures du soir.

Nous sommes en novembre 1870 ; la guerre fait rage dans le secteur. Il n’est donc pas aberrant de penser que la guerre est responsable de leur décès, mais de quelle manière ? Ils ne sont pas soldats, ni garde mobile. Le premier est notaire, domicilié à Sougé, le second est aubergiste, demeurant à Sargé, le troisième est rentier, demeurant à Sargé, le quatrième et le cinquième sont journaliers à Savigny-sur Braye. Trois sont décédés dans le bourg, un dans le haut bourg et un à Monplaisir.

Il n’y a aucun lien familial apparent entre eux, pas les mêmes métiers, pas les mêmes domiciles et pas les mêmes âges. Trois sont célibataires et deux sont mariés.

En fait, en faisant une généalogie classique, il est facile de passer à côté de ces “anomalies” et coïncidences. En fait, dans une grande ville, ce ne serait même pas une coïncidence. Il n’est en effet pas rare que plusieurs personnes décèdent le même jour.

Dans ce cas, la ville n’est pas si grande et la chronologie, trois et quatre heures du soir, est quand même étonnante. Encore plus étonnant, les quatre premiers décès sont déclarés le lendemain à la même heure, dix heures du matin. Le sixième est déclaré le 26 à six heures du soir.

Parce que je sais ce qui s’est passé, je peux même rattacher un sixième décès, celui de Jean Pierre Deshayes, soixante-et-un ans, marié à Honorine Tourneux, rentier, décédé le 29 novembre à deux heures du soir.

Voilà ce que ne dit pas l’état civil.

Le 24 novembre 1870, les prussiens sont dans la commune et commettent de multiples exactions. René Rollon et François Etienne Mauclair sont des gardes nationaux mobilisés, bien que l’état civil ne l’indique pas. Le premier est tué sur la commune, le second, d’abord capturé et attaché, est exécuté. Il est trois heures du soir. Jean Désiré Chauvin subit le même sort une heure plus tard.

Le maire est menacé de mort mais épargné. Ce n’est pas le cas de Louis Honoré Prégent. Ce brave homme, rentier de son état, porte une grande barbe. Pour cela, les prussiens l’accusent d’être un franc-tireur. Il est d’abord blessé dans sa chambre, traîné dehors puis achevé dans la rue.

Louis Baptiste Hallery est tué chez le médecin. Au même moment, Jean Pierre Deshayes est blessé dans la cours d’un ami. Il décède de ses blessures cinq jours plus tard.

Il s’agit bien de six décès directement liés à la guerre, dont deux mobilisés, mais rien dans l’état civil ne permet de le savoir.

Sauf à être attentif aux petits détails et à aller chercher ailleurs la réponse.

 

Christine LESCENE
Christine LESCENE

Généalogiste professionnelle depuis 1993 - formatrice en généalogie professionnelle depuis 1995 - Généa bloggeuse depuis 2008

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