Dès le lendemain du crime, un corps-de-garde est établi dans le quartier des Granges avec dix hommes faisant des patrouilles toutes les nuits. Les mêmes mesures sont prises dans la ville même. Les patrouilles de nuit et les agents de police et gendarmes font de fréquentes tournées. Il n’est pas question qu’un tel drame se reproduise.
Le sieur Grouteau se remet peu à peu de ses blessures, mais en garde une amnésie des évènements. Il s’inquiète que les voleurs aient trouvé son argent caché dans la cave. Mais non, ils ne l’ont pas trouvé. L’argent est toujours là, plus de trois mille francs. Les tueurs n’ont donc rien gagné. Mis en présence des deux suspects, il ne les reconnaît pas et c’est le non-lieu pour eux, le 21 septembre 1844. Thomas Retif et François Rottier sont remis en liberté.
En 1847, un nommé Labarre est arrêté mais c’est également un non lieu. Et l’affaire s’enlise.
Neuf années après le drame, un incident insignifiant va relancer l’enquête. La femme Cousin, se disputant avec la femme Berthée, lui dit “je ne suis pas si indiscrète que vous, moi. J’a vu des choses qui feraient tomber des têtes, et je ne dis rien..”. La justice est informée et la femme Cousin interpellée immédiatement. Même si les années ont passé, personne n’a oublié ce crime atroce.
Mise en demeure de parler, la femme Cousin raconte qu’à l’époque, elle tenait cantine pour les ouvriers du chemin de fer. Cette nuit-là, elle passa près de la maison du sieur Grouteau et aperçut un groupe de trois hommes ayant l’air de prendre des précautions. C’étaient des terrassiers du chemin de fer, dont elle en reconnut deux, François Rottier et Jacques Boyer. Le troisième lui tournait le dos. Elle le revit le lendemain avec les deux autres, c’était Thomas Retif. L’affaire reprend donc avec de nouvelles charges, le 31 octobre 1853.
Jacques Boyer est un repris de justice. Il vit en concubinage avec la femme Jolly, née Augustine Meunier, et habitait, à l’époque, un petit bâtiment à 250 m de la maison du sieur Grouteau. Ils ont depuis quitté la ville et vivent à Tours. Il est arrêté et incarcéré à la maison de justice, le 15 décembre 1853. Il a quarante-six ans, originaire du Puy-de-Dôme. Interrogée, la femme Jolly raconte qu’un jour, son compagnon malade croyant mourir, lui avait avoué le crime des Granges et donné les noms de ses complices. Guéri, celui-ci dément formellement ces propos mais sa compagne persiste. Il faut dire qu’elle est incarcéré à la maison de justice et la peur de la guillotine est là. Un tel crime, c’est la peine de mort assurée.
François Rottier à quarante-neuf ans. Il est de Montoire, dans le Loir-et-Cher. Il est incarcéré à la maison de justice le 1er novembre 1853.
La femme Merle, née Anne Parfait, compagne de Rottier, dite la Sourde, est interrogée à son tour. Elle nie, puis ment de telle sorte qu’on la croit complice. Elle est arrêtée à son tour et conduite à la maison de justice. Elle est déclarée non coupable et remise en liberté le 6 février 1854, puis de nouveau arrêtée le 14 mai et inculpée d’assassinat le 19 juin. Elle avoue très vite que son compagnon lui a donné, le lendemain du crime, un pantalon et une blouse tachés de sang, à laver pour le dimanche. Elle a compris ce qui c’était passé, mais menacée de violence par son compagnon, elle n’a rien dit.
Confronté à son témoignage, Rottier dément puis refuse de parler.
Après avoir fait ses aveux, la femme Merle, de retour dans sa cellule, se pend aux barreaux le 19 juin 1854. Cela délie définitivement la langue de la femme Jolly. Elle avait découvert chez elle, un panier dans lequel se trouvait un mouchoir trempé de sang, appartenant à son compagnon. Questionné par elle, il avait d’abord prétendu saigner du nez puis trouvé triste ces pauvres corps morts !!! Tout cela suffit à la justice.
Le procès va durer plusieurs jours. Soixante-dix témoins à charge sont entendus.
Il y a trois accusés, trois coupables. Un a échappé à la justice des hommes. Le 13 mai 1849, Thomas Retif, est décédé à l’hôpital de Blois.
Reste Rottier et Boyer.
Rottier vit à Blois depuis vingt-neuf ans. Il est marié mais d’après les témoignages, il battait sa femme. Il l’a quitté ou elle l’a quitté, et depuis, il vit avec la femme Merle depuis dix-neuf ans. Elle-même mariée à Antoine Merle a quitté son mari.
Boyer a été plusieurs fois condamné pour coups et blessures et vols. Ce sont des marginaux et tout les accuse, à commencer par les dépositions de leurs compagnes. Les débats sont longs et minutieux. L’affaire est grave.
Le jury se retire et délibère pendant trois longues heures. Le 10 juillet 1854, dix ans et cinq jours après le drame, le verdict est affirmatif sur toutes les questions, sans circonstance atténuante. François Rottier et Jacques Boyer sont condamnés à mort. La femme Joly obtient un non-lieu.
Le 23 octobre 1854, malgré une pluie battante, la place du marché au bestiaux, derrière la Halle au blé, est noire de monde. La prison est toute proche. A six heures du matin, Boyer et Rottier montent dans une charrette, accompagnés chacun par un curé. Le cortège se met en marche, escorté par une compagnie de la garnison et d’un piquet de gendarmerie. Boyer monte le premier à l’échafaud où il clame son innocence avant de présenter sa tête au bourreau. C’est le tour de Rottier, très calme, de monter à l’échafaud. Tout est fini. La pluie tombe à torrent et disperse très vite la foule.
La justice des hommes est rendue.