Aujourd’hui est un jour important pour beaucoup d’entre nous. Aujourd’hui, nous commémorons le centenaire de l’Armistice de la grande guerre, la der des der, la Première Guerre Mondiale.
Évidemment, ceux qui ont nommé cette guerre des deux premières appellations, n’imaginaient pas qu’il y en aurait une seconde encore plus grande dans sa dévastation et son horreur, et que ce ne serait pas la dernière.
Dehors, des trombes d’eau s’abattent sur la France. J’apréhende l’évènement pour cela. Qui va vouloir sortir pour rendre hommage à nos poilus et à toutes les victimes de cette guerre, si le temps s’oppose à nous ? Les officiels n’auront pas le choix, mais les autres, les tièdes, les curieux, les badauds ? Et pourtant, cette pluie diluvienne semble un double symbole :
Symbole du temps ignoble que les poilus ont subi dans les tranchées, envahies par l’eau, la boue et les rats.
Mais aussi symbole d’un ciel qui pleure tant de jeunes vies arrachées à ce monde, pour la vanité d’une poignée, au nom de nationalismes et de frontières artificielles à modifier.
Aujourd’hui, les anciens combattants vont rendre hommage à ceux qui les ont précédés et par qui leur statut a été créé.
Aujourd’hui, les enfants des écoles primaires vont venir chanter autour des Monuments aux Morts, l’hymne européen, la Marseillaise, et peut-être d’autres chants.
Aujourd’hui, des gerbes de fleurs vont garnir les monuments et les tombes, alors que des bleuets vont garnir les revers des vestes et des manteaux, du moins chez nous. Ailleurs ce seront des coquelicots.
Aujourd’hui, toutes les chaînes de télévision diffusent des reportages, des reconstitutions, des témoignages sur ce que fut la guerre.
Aujourd’hui est le temps du rassemblement, et surtout pas des polémiques. Petain, Foch, Joffre, Clémenceau et tous les décideurs de l’époque ont joué le rôle qui leur était dévolu. Leurs contemporains les ont jugés. Laissons les tous reposer en paix, héros ou non.
Aujourd’hui est le jour où nous devons penser à tous ceux qui ont donné quelque chose, dans cette guerre, pour qu’aujourd’hui, nous soyons libre de râler, polémiquer, voter, discuter, protester, et surtout être libres ; à tous ceux qui ont donné leur vie, leur jeunesse, une partie de leur anatomie, leur raison parfois, et qui ont gagné des nuits de cauchemars, des douleurs dans leur corps et le droit de se taire, jusqu’à la fin de leurs jours ; à tous ceux qui ont perdu leurs fils, leur mari, leurs frères, les hommes de leur famille et ont porté le deuil jusqu’à leur mort ; à tous ceux qui ont perdu leur maison, leur village, et tout ce qui faisait leur vie avant ; à tous les civils qui ont péri durant ce conflit.
Ce jour est pour eux et eux seuls.
Mais ce jour ne dure que 24 heures. Et demain ? De quoi demain sera-t-il fait ?
J’ai peur de ce demain. Peur que la très très grande majorité, officiels et presse compris, tournent la page définitivement sur nos poilus.
Évidemment, il va falloir préparer le centenaire de 39-45. Cela va venir vite et nous savons que ces préparations sont longues à mettre en marche. Celles de 14-18 nous l’ont montré.
Mais nos poilus vont-ils tomber dans l’oubli comme nos mobiles et nos soldats de 1870 ? Les musées vont-ils fermer, les uns après les autres, faute de subventions et de bénévoles ?
Nous savons bien, nous tous qui travaillons à reconstituer la vie des combattants de cette guerre, que le travail est loin, bien loin d’être achevé.
Combien vont continuer et combien vont laisser tomber, le sujet n’étant plus d’actualité ?
Mais ce sera pour demain. Demain est un autre jour.
Aujourd’hui, c’est maintenant. Et maintenant, je vais enfiler mon imperméable, prendre mon parapluie, et je vais me rendre à la cérémonie de commémoration du centenaire de l’Armistice du 11 novembre 1918.