Pour le challenge UPro-G d’octobre, le thème est « prisonnier de guerre ». Des prisonniers, ce n’est pas ce qui manque. En choisir un, construire l’article autour de lui et hop, c’est dans la boîte.
Mais comment fonctionne donc cette mise en boîte ? Comment est-ce que je procède ?
D’où l’idée de décortiquer ma manière de construire un article de blog sur ce thème : la genèse d’un article.
D’abord, choisir le point de départ de l’article : un prisonnier.
Pour cela, j’ai l’embarras du choix, avec la première guerre mondiale.
J’ai choisi d’utiliser la série R et la côte 3 R 113 (lettre C de prisonniers de guerre) des archives départementales du Loir-et-Cher.
Je farfouille dans la liasse, à la recherche des documents qui feront « TILT » dans ma tête. En fait, ils peuvent tous donner lieu à article, mais il faut bien en choisir un. Je choisis Chaufournais Félicien, ou plutôt, je choisis la lettre que sa mère a écrite au préfet, le 7 novembre 1918.
La date est intéressante, n’est-ce pas ? Car si elle l’a écrite le 7, elle a été validée par le maire de Naveil, le 8 et été traitée en préfecture le 9. Autant dire qu’elle n’aura que peu d’effets mais montre bien, que pour la population, la paix n’était pas pour un avenir proche.
Que nous dit cette lettre ?
La veuve Chaufournais (dont le mari est décédé ….. à chercher), souhaite que le préfet demande au comité départemental chargé des envois de colis aux prisonniers, qu’il envoie un colis d’habillements à son fils, Félicien Chaufournais, prisonnier à la 4e compagnie n°4517, Gefengenenlager Stendal Deutschland.
Son fils lui a réclamé plusieurs choses dont une capote, un pantalon et des brodequins. Il est de taille moyenne et chausse la pointure 43. La lettre est d’une belle écriture, mais ce n’est probablement pas la veuve qui l’a écrite, vu sa signature tremblée et la forme des lettres. Je n’ai pas d’indication sur l’âge de son fils, ni son régiment mais c’est déjà un bon début.
En marge, lors de la légalisation du courrier, par le maire de la commune, Naveil, ce dernier a écrit des choses encore plus intéressantes : madame Chaufournais est bien indigente (ce qui justifie qu’on l’aide) et elle a un fils tué à l’ennemi, un fils prisonnier (Félicien) et que cinq autres sont à l’armée !!! De quoi écrire un bel article sur une famille dans la guerre.
Première démarche : l’état civil de Naveil, pour reconstituer la famille et la fratrie.
Scregngngn, en ligne, cela ne va que jusqu’en 1892 !!! Et hop, Geneanet pour compléter. Et me voilà avec un couple, Désiré François Chaufournais et Marie Joséphine Habert, mariés à Naveil en 1875, et qui ont dix enfants : trois filles et sept garçons, les sept dont fait état le maire de la commune.
Le père, Désiré François Chaufournais, serait décédé à Naveil, le 10 juin 1900 (à vérifier).
Deuxième étape, l’armée
Je fais un petit tour sur « mémoire des hommes » pour trouver lequel des sept, est mort à la guerre : c’est Eugène Henri, classe 1903. Je n’aurai plus qu’à consulter son feuillet matricule : 2137.
Pour les autres, direction le site internet des archives départementales du Loir-et-Cher et les tables alphabétiques par classes.
Le site ne marche pas bien, ce matin !!! il me colle des carrés noirs un peu partout !! Mais je m’accroche.
- Emile Isidore François, classe 1896 – matricule 1795
- Armand Casimir Auguste, clase 1899 – matricule exempté puis 2191
- Félicien Victor Adrien (mon prisonnier), classe 1901 – 446
- Eugène Henri (le Mort pour la France), classe 1903 – 2137 (conforme à la fiche SGA)
- Albert Henri, classe 1910 – 1173
- Robert Pierre –erreur, je ne le trouve pas en 1915 mais en 1916 (erreur de date de naissance ? Il est indiqué né le 7 décembre 1895 sur Généanet) matricule 1358
- Henri Auguste, classe 1919 – 908
Ensuite, une lecture des fiches matricules de chaque frère.
Emile Isidore, classe 1896, est parti au front le 2 septembre 1914 (campagne 3/8/1914-27/1/1919). Il est parti avec le 38e RIT mais a rejoint le 1er groupe d’aérostiers le 10/9/1917 (médaille de la victoire et médaille commémorative française de la grande guerre). Il est revenu « indemne » de la guerre.
Armand Casimir Auguste, classe 1899, exempté de service militaire pour hernie inguinale droite, part à la guerre le 17 mars 1915, dans l’infanterie. Il sera évacué malade trois fois au cours de la guerre. Le 31 mars 1915, il est au front. Il est évacué trois fois pour blessure de guerre (lecture compliquée du feuillet matricule, mais je pense qu’il s’agit des évacuations pour maladie). Il fait cinq campagnes et rentre chez lui, « indemne » le 3 février 1919.
Eugène Henri, classe 1903, est parti au front quand ? il arrive au corps le 12 août 1914, 368e RI et est mort le 26 septembre 1914 à l’ambulance de Minorville. A comparer avec la fiche SGA. Les feuillets matricules des MPF sont vraiment trop succincts.
Albert Henri, classe 1910, est parti au front le 2 août 1914, avec le 82e régiment d’infanterie, jusqu’en mars 1918. Il est retourné au front du 29/9/1918 jusqu’au 30/3/1919. Il est cité deux fois à l’ordre du régiment et rentre avec la croix de guerre, étoile de bronze. Lui aussi renvient « indemne », avec le grade de caporal.
Robert Pierre, classe 1916 : il y avait bien erreur, il est né le 6 février 1896 et non le 7 décembre 1895. Il part à l’armée le 13 avril 1915, et au front le 27 novembre 1915, jusqu’au 13 septembre 1919. Il est au 82e RI puis au 143e. Il est blessé le 8 mai 1918 (amputation de l’annulaire) à la bataille de Viverbeck, cité à l’ordre du régiment. Il rentre à la maison, presque indemne, avec croix de guerre, étoile de bronze.
Henri Auguste, classe 1919 : incorporé le 19 avril 1918, il est au front le 31 octobre 1918, avec le 4e cuirassier, jusqu’au 1er février 1919. Il rentrera chez lui, le 23 mars 1921.
Je garde Félicien Victor Adrien pour la fin : il arrive 369e RI le 10 août 1914, passe au 89e RI le 19 et hop, il est au front. Il y reste jusqu’au 9 janvier 1915, date à laquelle il est porté disparu, à la Haute Chevauchée, dans la Meuse.
Il est indiqué prisonnier à Meschère. Rapatrié le 15 janvier 1919 (les vêtements de rechange lui auraient été bien utiles pour les deux mois à passer dans son camp. J’espère qu’il les a reçus). Pourquoi son rapatriement a-t-il été si long ? A creuser.
Voilà, j’ai le contexte familiale (y compris les mariés qui ont quitté le foyer avant la guerre, Félicien est célibataire), et le contexte militaire.
Enfin, presque. Il y a quelques vérifications à faire.
Troisième étape : vérifier les données douteuses ou provenant de sources non cotées.
La première : décès du père. Ce n’est pas en ligne, mais j’ai les tables de l’enregistrement dans mon DD, donc je cherche. Il est décédé le 10 juin 1900, à Naveil. L’information était bonne.
La fiche SGA d’Eugène Henri, sur son lieu de décès. Son feuillet matricule le dit mort à l’ambulance de Minorville. Un petit tour sur le net pour voir. Minorville est en Meurthe-et-Moselle, comme Toul. Il y a vingt kilomètres d’écart entre les deux, alors ? Où est mort Eugène Henri ? Un petit tour sur le journal de marche du régiment ?
Problème : tous les blessés, morts et disparus de son régiment sont soigneusement notés et il n’y a pas mon Eugène Henri Chaufournais.
Petit tour sur le JMO du 168e et là, le régiment est juste à côté de Minorville. Mais le JMO ne donne aucun nom (scrggnngngngn). Alors, a-t-il été oublié dans le JMO du 368e ? Impossible pour l’instant de savoir où il a été blessé et quand. Un petit tour sur le net et sa tombe (merci Geneanet) indique bien le 368e RI.
Rechercher dans le fonds iconographique
Tant pis, ce n’est pas le sujet de l’article, de toute manière.
Retour à mon prisonnier : Félicien Victor Adrien. Il me reste encore un site à visiter pour lui : CICR
Quatrième étape : la capture et la captivité de Félicien
Le moteur de recherche ne me trouve qu’une fiche au nom de Félicien : elle indique qu’il est soldat au 89e de ligne, 10e compagnie, 2e section, 5e corps, section 10, disparu le 8 janvier. La réponse à la famille a été faite le 11 février 1915.
Un courrier a été adressé à Mme Verdier, à la Chaise (Naveil), le 11 février 1915. Et rien d’autre. Il n’y a rien non plus, dans son feuillet matricule, sur la date à laquelle l’armée a été informée de son statut de prisonnier.
Sans la lettre de sa mère, on ne saurait même pas où il a été envoyé. Ce qui n’est pas forcément complet, car il a pu faire plusieurs camps.
Mais je persiste sur le site du CICR et je me rends compte que leur moteur de recherche ne m’a pas envoyé dans la bonne liste. Et effectivement, je trouve deux autres fiches au nom de Félicien. Cela sert de s’accrocher pour farfouiller. Ces fiches m’envoient vers d’autres documents : P 13589, P 27807, P 31785 et P 27048
Je ne le trouve pas aux deux premières côtes (ben voyons), mais à la troisième, il est sur la liste des évacués de Salzwedel vers Stendal (si j’ai bien tout compris !!) donc évacué du camp de Salzwedel (camp principal pour soldats situé dans la province de Saxe, au NE de Hanovre et Brunswick) vers le camp de Stendal (camp principal pour soldats situé dans la province de Saxe, au nord de Brandenbourg).
A P27048, il est sur la liste du camp de Salzwedel, 6e compagnie, au 25 août 1915. Arrivé le 6 juillet 1915 en provenance du Lazaret de Halle (camp principal muni d’un lazaret situé dans la province de Saxe, à proximité du camp de Merseburg, au NO de Leipzig). Cela semble indiquer qu’il a été blessé ou qu’il est tombé malade.
Donc, si je suis ce parcours, Félicien a été capturé le 8 janvier 1915, envoyé au Lazaret de Halle (Hôpital) jusqu’au 6 juillet 1915. A cet date, il arrive à Salzwedel, 6e compagnie, jusqu’à ? puis envoyé à Stendal, adresse que sa mère a communiquée au préfet.
Un petit tour sur le JOM au jour de sa disparition ?
Le 1er janvier 1915, le 3e bataillon est à la Haute-Chevauché, donc, Félicien est du 3e bataillon. C’est confirmé, la 10e compagnie fait partie du 3e bataillon, sous les ordres du sous-lieutenant Poix et du sous-lieutenant Raymond. J’ai une belle description de la bataille du jour avec un plan dessiné à la main (page 4 et suivantes). Les combats durent trois jours. Le bilan est de, un officier tué, trois blessés, cinq disparus dont les deux sous-lieutenants de Félicien, et 4800 hommes sont tués, blessés ou disparus. Félicien fait partie des disparus.
Cinquième étape : la rédaction
Et il ne reste plus qu’à rédiger un article avec tous ces renseignements obtenus, en jonglant avec les lacunes.
Quels documents aurais-je pu consulter en plus ?
M’occuper des beaux-frères de Félicien (j’ai uniquement vérifié qu’ils n’étaient pas MPF).
Consulter les dossiers d’ancien combattant : 18556 pour Albert Henri, 10759 pour Armand Casimir Auguste, 21714 pour Emile Isidore François, 22155 pour Félicien Victor, 12264 pour Robert Pierre. Surtout celui de Félicien Victor. Car, non seulement, j’aurais eu des compléments d’information, mais en plus, j’aurai pu mettre des visages sur leurs noms, surtout celui de Félicien. Mais les archives sont fermées jusqu’en janvier et c’est ce mois-ci, le thème des prisonniers.
Voilà, j’ai l’environnement familial, la guerre des frères, la guerre de Félicien, sa captivité avec la petite lettre de sa mère.
Et en conclusion ?
Félicien s’est marié, le 22 mai 1924 et est décédé le 3 février 1953, à l’âge de soixante-et-onze ans.
Il ne reste plus qu’à écrire l’article. Mais pas aujourd’hui, j’ai le challenge AZ à préparer.