La grande guerre, comme toutes les guerres, a permis de faire évoluer la médecine. C’est sur les champs de bataille que les découvertes médicales et chirurgicales les plus importantes ont été faites depuis ……. que l’homme fait la guerre.
Chaque guerre permet aux services de santé des armées de s’améliorer, d’évoluer, pour que, ensuite, ces découvertes soient appliquées au monde civil. C’est bien le seul “avantage” que je vois aux guerres. Si je dois faire le bilan positif-négatif des conflits, je ne crois pas que ces avancées médicales pèsent suffisamment dans la balance pour justifier les millions de morts et de blessés. Peut-être n’est-ce qu’une légère consolation pour tant de malheur.
La première guerre mondiale n’a pas fait exception. L’un des progrès les plus spectaculaires est probablement la chirurgie des blessés de la face : les gueules cassées. L’un des plus cachés, car il n’a pas été très “écouté”, ni par l’armée et les politiques, ni par le grand public, est la connaissance du syndrome de stress post traumatique provoqué par les combats. Tout ce qui touche au mental a toujours été sujet au secret : secrets de famille, secret de société ; la maladie mentale faisait peur, fait toujours peur, je le crains.
Comment la société pouvait-elle croire qu’un homme, arraché à sa famille, à son milieu social et professionnel, à sa terre, propulsé dans un monde de violence où cette même société lui demande de tuer, sur ordre, sans réfléchir, d’autres êtres humains, monde de violence où il voit mourir, dans l’horreur et la souffrance, ses compagnons d’arme, ses voisins de chambrée, comment pouvait-elle, cette société, croire qu’une fois la guerre finie, tout redeviendrait comme avant ? Que ces hommes reprendraient leurs outils, leurs habitudes familiales, comme s’il ne s’était rien passé ? Cruelle hypocrisie de la société qui a mené bien des hommes à la boisson, au mieux, au suicide, au pire, avec tous les intermédiaires.
Théophile Octave Arpin est serrurier mécanicien, lorsqu’il est appelé au service armé, avec la classe 1906.
Il le termine sapeur et soldat de première classe le 30 septembre 1908.
Il part s’installer à Paris où il vit lorsque le décret de mobilisation générale le renvoie sous les drapeaux avec le 368e régiment d’infanterie.
Il arrive au corps le 3 août 1914 et part immédiatement pour le front.
Le 21 septembre, il est fait prisonnier à Limey. Il est d’abord interné à Sehweman, puis transféré à Nurnberg.
C’est là qu’il se trouve lorsqu’un colis des oeuvre des prisonniers de guerre du Loir-et-Cher, lui est transmis. L’adresse exacte est
Arpin Théophile
368e Infanterie 1ere compagnie 6e section
Nürnberg – Bavière
Une carte préremplie est jointe au colis. Elle précise que “à défaut du renvoi de cette carte, les envois seront suspendus”. Autant dire que les prisonniers les renvoient, avec une petite note au dos, écrite au crayon de papier ou de couleur. La carte de Théophile ne fait pas exception, mais elle est bizarre.
Une lecture approfondie montre un texte écrit de deux couleurs : un crayon de papier commence et termine la carte, un crayon de couleur violet raconte l’histoire. Ce n’est pas Théophile qui renvoie cette carte, c’est le lieutenant Chaignot. Je vous laisse juge de ce qu’il écrit.
“Bayreuth, le 12 août 1917
Monsieur
J’ai le plaisir de vous accuser réception de votre envoi un paquet que j’ai reçu ce jour en bon état (1 sachet de riz, 2 tablettes chocolat, 2 boîtes de conserves, 2 potages et 2 tablettes de café).
Le lieutenant François Chaignot, interné à Bayreuth Heil Und Plage Anstalt a l’honneur de signaler à l’oeuvre l’état de santé du soldat Arpin. Ce soldat est malade et souffre de troubles mentaux. Il serait désirable s’il est possible, que ce soldat reçoive davantage de paquets car il ne consent à manger que ce qui lui vient de France, autrement on doit le nourrir artificiellement. Recevez tous mes remerciements. Votre bien reconnaissant Lieutenant Chaignot – écrit le 30 11 17″.
Théophile Arpin figure sur la liste du 23 mars 1918 des prisonniers rapatriés :
Il est placé à l’asile d’aliénés de Blois le 24 avril 1918 et réformé pour troubles mentaux le 26 juillet 1918. Probablement le résultat du syndrome de choc post traumatique lié aux combats.
Ce jour-là, 21 septembre 1914, au combat de Limey, deux cent trente sept hommes du 368e régiment d’infanterie ont été mis hors de combat : sept tués, quatre-vingt-quatorze blessés et cent-trente-six disparus. Théophile était dans les cent-trente-six.
J’habite prés d’une grande garnison ici au Texas et personne n’est choquée de voir des amputés, voir même des doubles ou triples, car il y en a tellement depuis 2001 et la science comme vous le dites fait des progrès prodigieux durant les guerres. Ils n’ont pas honte de leurs prothèses et n’hésitent pas à se mettre en short ou en manches courtes. Par contre PTSD est un autre problème. Depuis le début de cette année, il y a eu probablement une dizaine de décès inexpliqués de soldats. Ils ont été trouvés dans leur chambre ou leur maison “unresponsive” (l’euphémisme utilisé par l’Armée) parce que personne ne veut dire suicide et parce que même maintenant ce n’est pas vraiment reconnu comme une maladie. Les mentalités ne changent pas facilement.
Tout ce qui ne peut pas être résolu “facilement” fait peur. Les amputés reçoivent des prothèses et tout est réglé (c’est ce que l’on veut croire), les malades reçoivent des médicaments et ils sont guéris. Dans le cas des PTSD, il n’y a pas de remède miracle, pas de signes physiques visibles de maladie non plus. Il est donc plus commode pour tout le monde de faire comme si il n’y avait rien, comme si c’était sans importance. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire sur le sujet. Dans ce cas, il est possible que ce ne soit pas les guerres qui fassent avancer les choses, mais le terrorisme. A chaque attentat, les psy sont mobilisés pour aider les victimes. Leurs troubles sont reconnus même s’il n’y a toujours pas de remède miracle. Cette fois, ce sont peut-être les civils qui vont aider les militaires, non pas dans les soins, mais dans la compréhension publique du traumatisme psychique. En attendant, la souffrance de ces malades est réelle et bien incomprise.