C’est la rentrée. En quoi suis-je concernée ? Je n’ai pas d’enfant en âge scolaire. Je ne vais plus à l’école depuis bien longtemps. Et pourtant, vingt rentrées scolaires dans ma vie m’ont “formatée” pour la rentrée de septembre. Inconsciemment, je me prépare à une nouvelle année, début septembre. Cette préparation n’existe pas pour janvier. Pour le 1er janvier, il s’agit plutôt des bonnes résolutions.
Vingt rentrées scolaires, plus les médias qui nous font croire que le retour des vacances marque le début d’une nouvelle ère (même quand on ne part pas en vacances), plus les publicités pour les fournitures scolaires (ahhhhh l’odeur des cahiers neuf), plus les magasins pavoisés aux couleurs de la rentrée, plus l’animation dans ma rue (coincée entre deux lycées) et me voilà toute émoustillée par ce renouveau digne d’un printemps.
Cela me donne envie de changer de cartable (sacoche d’ordinateur), d’acheter de nouveau stylo et blocs-notes, de ranger mon bureau, d’ouvrir de nouveaux dossiers et d’avoir une nouvelle tenue spéciale rentrée.
Cette période réveille l’enfant qui est en nous et les souvenirs qui vont avec. C’est, pour un adulte, une période plutôt agréable ; d’autant plus agréable que je sais qu’il n’y aura pas de rentrée scolaire : pas de nouveaux camarades à apprivoiser, pas d’enseignant terrifiant à affronter, pas de nouvelle école gigantesque où se perdre, juste les bons souvenirs a déguster, et les mauvais à enfermer dans leur placard avec un grand sourire de soulagement : l’école, pour moi, est finie.
J’ai gardé une tendresse particulière pour certains enseignants qui ont jalonné mon parcours vers la connaissance et le savoir. Comme mon institutrice de CP qui essayait de m’apprendre à écrire, moi gauchère, elle droitière, s’arrachant les cheveux de voir le porte-plume (et oui, je suis si vieille que j’ai connu les encriers et l’encre violette) glisser le long de mes doigts le long de la ligne, pour finir le bout du porte-plume au bout de mes doigts. Ma main ne bougeait pas d’un centimètre !!
Elle a pourtant réussi. Quand je vois, aujourd’hui, écrire des gauchers, j’en ai mal à la main et au poignet pour eux. Ils ont les doigts tordus et le poignet cassé pour ne pas effacer de leur manche la ligne fraîchement tracée : bonjour l’arthrite dans leurs vieux jours. S’ils avaient madame Mogica !!!
Il y a mon institutrice de CM2, madame Mardelle, qui a donné son nom à mon école, tant elle était en avance sur son temps, dans les méthodes pédagogiques qu’elle utilisait. Elle savait tout faire. Elle aurait mérité le nom de Hussard de la République, tant elle avait de connaissances et de dévouement envers ses élèves. Aucune matière ne lui était inconnue et elle nous transmettait son savoir en nous impliquant dans la recherche : l’actualité de la presse, la plantation des jacinthes, les correspondants à l’autre bout du pays, le travail en petits groupes… Ce qui, aujourd’hui peut paraître banal, ne l’était pas, il y a…… hum….. en ce temps-là. Elle prônait l’intégration par l’écriture : elle aidait des enfants introvertis, non intégrés, mal dans ce milieu scolaire, par l’écriture. Elle leur donnait de la valeur, une place dans ce monde, au lieu de les laisser au fond de la classe, près du radiateur.
Et il y en a eu quelques autres. Nos enseignants nous forgent tels que nous sommes aujourd’hui, qu’ils le veuillent ou non, en bien ou en mal. Il suffit d’un bon enseignant pour que votre année soit magique. Il suffit d’un mauvais enseignement pour qu’elle devienne un enfer. J’ai heureusement eu plus de magie que d’enfer. J’ai adoré l’école.
En ce temps là, la rentrée avait lieu le 15 septembre. En ce temps là, les vacances d’été servaient encore, dans les campagnes, à fournir une main d’oeuvre familiale pour les travaux des champs.
Nous l’avons oublié aujourd’hui, mais la seule raison de la durée des vacances d’été était les récoltes. Les congés commençaient mi-juillet jusqu’en octobre (du temps de ma mère, pas de mon temps), pour permettre aux enfants d’agriculteurs, très très nombreux à l’époque, de participer aux moissons, aux récoltes, aux vendanges. Les autres vacances étaient plus courtes, surtout liées aux périodes de fêtes religieuses. N’oublions pas que la France était très largement catholique et pratiquante (même si les messieurs occupaient plus souvent le commerce face à l’église que l’église elle-même).
Mais si l’on remonte encore plus en avant. Avant l’école obligatoire de Jules Ferry, lorsque l’école n’était ni obligatoire, ni gratuite.
La loi Guizot, du 28 juin 1833, indique que l’enseignement n’est ni gratuit, ni obligatoire, mais impose aux mairies de pourvoir à l’enseignement des garçons pauvres (il faut attendre 1836 pour que les filles soient concernées). Les mairies doivent payer l’instituteur, le loger, payer l’école !! Autant dire qu’il n’y eut pas d’école partout ni pour tous, ni pour toute l’année.
La tutelle des mineurs Fariau, en 1843, dans le Loir-et-Cher, indique que le tuteur doit envoyer les enfants à l’école, du 1er novembre au 1er mars, jusqu’à leurs quinze ans. L’école est évidemment pour les mois inutiles de l’hiver où il n’y a pas de travaux dans les champs.
Et il y eut la guerre de 1870, celle que nous avons perdue. Une des raisons avancée fut que les prussiens étaient mieux instruits que les français. Ces derniers, mal éduqués, n’avaient pas non plus une fibre patriotique très épaisse. C’est donc leur faute si nous avons perdu la guerre !!!! Mais Jules Ferry veillait.
Les hussards de la république eurent pour tâche de remplir (voir farcir) les têtes blondes de connaissances et de leur inculquer la fibre patriotique. En prévision de la revanche, bien sûr.
L’école a bien changé, en bien souvent, en mal parfois, mais tout évolue, tout change, tout se transforme. Les enfants ne sont pas plus intelligents que nos ancêtres, ils sont mieux instruits, car nous confondons souvent l’intelligence et l’instruction.
Un enfant de 1914, entrant dans une classe aujourd’hui, serait effaré par le manque d’éducation, d’obéissance, d’ordre. Il serait également dépassé par les techniques utilisées.
Un enfant d’aujourd’hui, plongé en 1914, serait tout aussi dépassé, mais pour d’autres raisons.
Le bon vieux temps n’a jamais été totalement bon. Les coups de règles sur le bout des doigts et autres punissions corporelles, ont disparu. Qui les regrette ? Pas ceux qui les ont subies.
L’instruction prodiguée aujourd’hui suit, ou essaye de suivre, le monde dans lequel nous vivons.
Ce n’est ni un bien, ni un mal, c’est une nécessité économique. Nous serions en guerre, nos enfants apprendraient à monter et démonter une arme les yeux fermés, comme dans certains pays, ou à éviter les mines sur leurs terrains de jeu.
Nous serions dans une zone sismique intense, nos enfants apprendraient les techniques de survie en milieu géologiquement hostile.
Nous sommes un pays riche et en paix, nos enfants échangent des cartes pokemons (ou le truc à la mode en ce moment) qui est une manière de s’intégrer et se socialiser dans notre monde (et d’apprendre le troc et le commerce).
J’ai aimé l’école de mon temps, même si elle n’était pas parfaite. J’émettrais juste deux souhaits pour l’école d’aujourd’hui : que tous les enfants aiment l’école de leur temps, aussi imparfaite soit-elle, parce qu’ils vont y rester un sacré paquet d’années, et que les cartes à échanger ne soit jamais remplacées par des armes ou des rations de survie.