Le 2 décembre 1870, c’est la bataille de Loigny ou Loigny-Poupry. Loigny et Poupry sont deux petites communes du Loiret. Elles vont être le théâtre d’une des pires batailles de cette guerre et surtout marquer la défaite de la France face à la Prusse, même si la guerre va continuer encore quelques semaines.
En présence, trois corps de l’armée de la Loire : le XVI corps du général Chanzy, le XVIIe corps du général de Sonis et le XVe corps du général des Pallières contre l’armée du grand duc de Mecklembourg. La journée n’est qu’un massacre qui s’achèvera sur le bilan de 9 000 morts des deux côtés et 3 000 prisonniers français.
L’armée française est en déroute. Le général de Sonis part à l’attaque avec trois cent zouaves pontificaux du colonel de Charette, assistés des francs-tireurs de Tours et de Blidah, des mobiles des Côtes d’Armor et d’une ligne de tirailleur, soit huit cents hommes au total. Le général est là, avec ses hommes. Le colonel de Charette est à sa droite, le commandant de Troussures à sa gauche. C’est l’attaque du bois Bougeou (qui s’appelle depuis le bois des zouaves). C’est le massacre.
Le général de Sonis est blessé grièvement au genou gauche d’un coup de feu tiré à bout portant. Il ne tient plus sur son cheval. Le combat est terminé pour lui. Son aide-de-camp, le capitaine Bruyère, l’aide à s’étendre sur le sol, assisté du lieutenant de Harscouët, des zouaves pontificaux. Il envoie Bruyère prévenir le plus ancien officier général de prendre le commandement du 17e corps pour diriger la retraite. Une autre version dit que ce sont le commandant de Saussac, du 51e et le lieutenant Paul Poitvin qui l’ont descendu de cheval.
Problème, le XVIIe corps est sans chef, le général de Bouillé est lui-même blessé et le commandement désorganisé, et la guerre perdue, mais cela, c’est une autre histoire.
Bruyère et de Harscouët ne veulent pas laisser le général de Sonis seul, mais ils doivent obéir aux ordres. Le cheval du général est mort, criblé de balle. Ses hommes lui retirent la selle et la placent sous la tête du général avant de partir.
Le général reste là, sur le champ de bataille, étendu dans la neige. Autour de lui, les morts sont nombreux. L’armée prussienne ne tardent pas à arriver, passant sur les corps, s’arrêtant juste le temps d’enlever les armes et tout ce qui a de la valeur, sur les morts. Un soldat croyant le général mort, le retourne avec brutalité pour lui voler son épée et son pistolet. Un zouave est couché non loin de lui. Un soldat le bouge du pied et le voyant encore en vie, lui écrase la tête d’un coup de crosse. C’était le commandant de Troussures.
Le général de Sonis croit sa dernière heure arrivée, mais le soldat qui s’approche de lui est d’une autre trempe. Il ne voit en lui qu’un camarade d’infortune et lui fait absorber un peu d’eau de vie. Le général n’a rien avalé depuis vingt-quatre heures. Il l’aide ensuite à se réinstaller sur la selle et le couvre avec sa couverture, avant de repartir.
La nuit est là. Les médecins et infirmiers prussiens arpentent le champ de bataille avec des lanternes rouges sphériques. Ils ramassent leurs blessés………….et abandonnent les français. Seuls quelqu’uns sont relevés et portés jusqu’à une grange de Loigny. Dans la nuit, le général entend les cris de blessés appelant à l’aide. Une aide qui ne viendra pas. Beaucoup mourront de froid dans la nuit, affaiblis par leurs blessures. A plusieurs reprises, il entend des appels mais il est trop faible pour y répondre. Il a perdu beaucoup de sang, sa jambe est brisées en vingt-cinq morceaux !!!
Il est onze heures du soir, la neige tombe à gros flocons et recouvre les corps. Les blessés meurent les uns après les autres, les appels cessent. Deux jeunes zouaves blessés se traînent jusqu’à lui, avant de repartir pour être fait prisonniers plus loin.
Un autre jeune zouave, Fernand de Ferron, rampe jusqu’à lui, mais, grièvement blessé, meure à son tour, tout contre lui.
Vers cinq heures du matin, deux prussiens viennent piller le champ de bataille. Le voyant vivant, ils ne l’approchent pas, mais volent tout ce qu’ils peuvent sur Fernand de Ferron.
Des voix françaises se font entendre vers sept heures du matin, à la recherche de survivants, mais trop loin de lui. Il est dix heures du matin lorsque d’autres voix retentissent, beaucoup plus près. C’est l’abbé Bastard, aumônier des mobiles de la Mayenne qui le trouve. A partir de là, il ne sera plus seul, mais son calvaire n’est pas fini. Un cheval errant sur le champ de bataille est arrêté mais il n’y a pas de voiture pour le transporter, les prussiens refusant de leur laisser les harnais. Ses secouristes cherchent désespérement une civière, un brancard, mais les ambulances civiles sont parties. Le curé pense à prendre une échelle pour brancard lorsqu’il se rappelle l’ambulance prussienne. Là, un officier lui accorde un brancard, car c’est pour un général !!! Deux heures après avoir été trouvé, le général arrive enfin au presbytère de Loigny où sont soignés les blessés.
Le général de Sonis est pale comme la mort, sa tête et ses habits sont couverts de neige et givre. Il est déposé sur la paille étendue à terre. On lui enlève ses vêtements. Sa botte doit être coupée sur toute la longueur pour libérer la jambe blessée. Il est ensuite installé dans le lit du curé de Loigny. Au bout de quelques heures, le général de Sonis commence à revenir à lui. Outre sa jambe gauche blessée, il se rend compte que son autre pied est gelé. Un médecin venu de Janville déclare que l’amputation ne sera pas nécessaire. Voeux pieux qui malheureusement ne se réalisera pas. N’ayant rien pour panser les blessures, il lui emmaillote la jambe dans des tortillons de paille avant de lui emboîter la jambe dans des débris de planche.
Il va rester ainsi jusqu’au 4 décembre, lorsque le docteur Dujardin-Beaumetz, du 31e de marche, arrive pour soigner les blessés du presbytère. Il s’occupe de tous les blessés, couchés sur la paille, à même le sol. Le général de Sonis, au fond de la pièce, est examiné le dernier.
L’extrémité de l’os fémoral de la jambe gauche est fracassé. Le projectile est sorti. Du sang, traversant le matelas et la paillasse a coagulé sur le parquet. Le blessé est épuisé, amaigri. Il doit néanmoins subir l’amputation de la cuisse. C’est chose faite le soir même. La moitié inférieure du fémur est en éclats. Les médecins vont compter quatorze esquilles volumineuses. Pour ne pas être accusé de trop “couper”, le docteur Dujardin-Beaumetz les fait bouillir dans une gamelle ramassée sur le champ de bataille, pour les conserver comme preuve justifiant son intervention. On n’est jamais trop prudent lorsque l’on soigne un général.
Pour le pied droit, l’amputation est évitée mais la gangrène s’y mettant, tout ce qui devait être enlevé l’est en grattant, sans anesthésie.
Cette fois, le général n’est plus seul. Ils sont plus de deux milles blessés entassés dans l’église et le presbytère. Mais il n’ont aucune nourriture et seule l’eau de puits est disponible. Les provisions venues de Chartres n’arrivent que beaucoup plus tard.
En attendant, personne ne sait où il est. Gambetta le croit au château de Villepion, prisonnier des prussiens. C’est d’ailleurs ce qu’il écrit à la femme du général. Mais il est toujours à Loigny, avec le colonel de Charette, également blessé à la jambe.
Louis Gaston de Sonis, né le 25 août 1825 à Pointe-à-Pitre, décède à Paris, le 15 août 1887, dix-sept ans après son calvaire.
Fallait-il qu’il soit solide pour avoir survécu à cela !!!