Il arrive parfois que nos ancêtres laissent des traces là où on ne les attend pas. Dans le vieux cimetière de Blois, un monument a été dressé, par les habitants de la commune, en hommage aux soldats de la garnison.
A l’intérieur, des plaques sont vissées sur les murs. L’une d’elle attire mon regard. C’est celle de Jean Louis Moison, un petit gars de Bretagne, né en 1858, à Pipriac. Pourquoi celle-là plus qu’une autre ? Peut-être parce qu’elle indique un décès le jour de mon anniversaire, le 12 mai.
Jean Louis Moison est appelé à faire son service militaire le 7 novembre 1879. Il arrive au corps, le lendemain pour intégrer le 113e régiment de ligne, en garnison dans la ville de Blois, sous le numéro matricule 1435, bataillon du dépôt, 1ère compagnie. Dix-huit mois plus tard, il décéde à l’hospice de la ville, le 12 mai 1881.
Le service militaire était une époque dangereuse, entre les accidents durant les manœuvres et les maladies propagées dans les dortoirs, il n’est pas rare d’avoir, dans son arbre généalogique, un ancêtre collatéral décédé pendant cette période.
Jean Louis n’est pas le seul soldat du 113e de ligne à décéder en cette année 1881, ni le premier, ni le dernier.
C’est aussi un breton qui décède le premier, du même département et de la même classe que Jean-Louis Moison. Jean Marie David, natif d’Arbrissel, en Ille-et-Vilaine, décède le 8 mars à l’hospice, de tuberculose pulmonaire. Lui aussi a sa plaque dans le monument du cimetière.
Le mois suivant, un autre breton, Joseph Larvor, vingt-un ans, natif de Meillars, Finistère, 4e bataillon 2e compagnie, matricule 1764, décède à l’hospice, le 22 avril. Il est de la classe suivante, la classe 1879. Il est au régiment depuis cinq mois seulement. Son nom est le premier sur la plaque annuelle qui va être installée dans le monument du cimetière, mais il y est tronqué en Laue au lieu de Larvor.
Jean Louis Moison décède le mois suivant, le 12 mai, toujours à l’hospice. Son nom est sur une plaque, à part. Il semble que le 113e de ligne perde un homme chaque mois.
Effectivement, le 5 juin un nouveau décès arrive, toujours un breton et encore un natif d’Ille-et-Vilaine. Louis Constant Natu, caporal au 2e bataillon 3e compagnie, matricule 1413, âgé de vingt-trois ans, natif d’Acigné, Ille-et-Vilaine, décède à l’hospice le 5 juin.
De la classe 1878, Il est caporal depuis le 10 octobre 1880, de la même classe que Jean Louis. Il décède d’asphyxie par submersion. Son nom est inscrit sur la plaque, sous celui tronqué de Joseph Larvor. Il est le quatrième breton du 113e à mourir cette année-là.
Après deux mois de calme, la mort frappe de nouveau au régiment. Cette fois, elle épargne les bretons. Genes Borelle, vingt-deux ans, natif de Chanonat, Puy-de-Dôme, de la classe 1879, soldat de 2e classe au 113e, 1e bataillon, 2e compagnie, matricule 1586, décède à l’hospice le 8 septembre, de la fièvre typhoïde. Son nom ne figure pas dans le monument du cimetière, pas plus que celui d’Ernest Dominique Suprin, trente ans, natif de Adompt, Vosges. Lieutenant au 113e de ligne, décoré de la médaille militaire, il décède le 9 septembre, à l’hospice. De la classe 1871, engagé volontaire en 1868, il est nommé sous-lieutenant au 113e de ligne le 8 juin 1873, puis lieutenant le 17 septembre 1880. Près d’un an plus tard, il décède d’une plaie par balle à la poitrine qui a lésé sa moelle épinière.
Près de trois mois plus tard, Jean Claude Chevaux, vingt-et-un ans, natif de Saint-Benoist-en-Bresse, Saône-et-Loire, soldat de 2e classe au 113e de ligne, 1e bataillon 4e compagnie matricule 2334, décède le 28 novembre, dans la caserne même, avenue de Paris. C’est le plus jeune. Il est de la classe 1880 et n’est arrivé au régiment que depuis treize jours lorsqu’il décède. Son nom est inscrit sur la plaque annuelle.
Le dernier de cette triste liste est Eugène Stiquel, vingt-trois ans, natif de Chenebier, Haute-Saône, caporal au 113e de ligne, 3e bataillon 4e compagnie matricule 1313. Il décède le 13 décembre à l’hospice. Lui aussi est de la classe 1878 et son nom est sur la plaque annuelle.
Sur les huit soldats du 113e décédés en 1881, quatre étaient de la classe 1878, et quatre étaient bretons. Seuls six ont leur nom sur les plaques du monument dressé par les habitants de Blois pour leur garnison.
Cent quarante ans après leur mort, il reste d’eux, à Blois, cette trace de leur existence, bien loin de leurs régions d’origine et de leurs familles.