Une autre journée zéro – une belle histoire

Une autre série de “journées Zéro” qui m’a marquée concerne un enfant abandonné. Le client me contacte en me disant que son père est un enfant abandonné. Il ne l’a su que tardivement. Son père n’en parlait jamais. Il a fait les démarches légales pour consulter le dossier en espérant qu’il ne soit pas vide et il ne l’était pas. La mère a abandonné son enfant à Paris, ne pouvant subvenir à ses besoins, et a rempli tout le questionnaire sur ses origines et celles du père, leur mariage. Le fait était plutôt rare et porteur d’espoirs généalogiques.

Où était le problème ? Tout était faux. Le père était originaire de la Sarthe, la mère de l’Indre-et-Loire. Et tout était faux : pas de mariage, pas de naissance, aux dates et lieux indiqués. Pourquoi remplir ce formulaire si c’était pour mentir ? Elle aurait tout aussi bien pu ne rien dire, comme beaucoup de mères.

Le client en était arrivé à la conclusion que tout n’était pas faux. Elle avait menti sur le mariage et les lieux et dates de naissance, mais pas sur les noms et les départements. Pour lui, elle était célibataire et avait voulu transmettre à son fils les noms de ses parents et une région d’origine. Suffisamment pour qu’il ait des racines et ne soit pas considéré comme un “bâtard”, mais pas assez pour qu’il les retrouve. Et le voilà parti à tester son hypothèse.

Il a commencé par la Sarthe et cherché dans toutes les tables décennales un porteur des nom et prénoms du père, vers la date de naissance indiquée, avec plus ou moins quelques années. Rien. Il faut dire que le monsieur avait un nom très commun dans le département.

Un peu découragé, il m’a contactée pour en faire autant dans l’Indre-et-Loire. Et voilà, j’ai dépouillé toutes les tables décennales du département à la recherche des porteurs des mêmes noms et prénoms. Pour le père, rien à faire, ils étaient trop nombreux. Mais pour la mère, après avoir éliminé les mortes avant la date de naissance de l’enfant, il en restait trois. Et puis il n’en est resté plus qu’une. Une très particulière.

En creusant son histoire, sa vie s’est révélée bien atypique pour son milieu, connaissant les moeurs rurales de la fin du XIXe siècle.

Elle est née en région viticole, fille de vigneron, possédant ses vignes et ses terres.

Premier détail gênant : alors que sa fratrie vit et cultive la vigne et les terres familiales, elle est placée à la grande ville comme vendeuse dans un commerce.

Deuxième détail gênant : après la date de naissance de l’enfant, peut-être le sien, elle se marie avec un garçon venu de Paris, simple garçon de café sans fortune ni terre ni lien avec ce terroir.

Troisième détail gênant : un contrat de mariage est dressé, indiquant, à travers les lignes, un mariage vite fait arrangé où le marié n’apporte rien et la mariée est largement dotée.

Quatrième détail gênant : le jeune couple est parti immédiatement dans le bordelais.

Alors ? Est-elle tombée amoureuse d’un beau garçon de café venu de la capitale, qu’elle a épousé contre toutes traditions et la famille l’a-t-elle dotée pour qu’ils puissent avoir un bon départ dans une ville lointaine que leur esprit aventureux rêvait de découvrir ?

Ou bien a-t-on marié vite fait une fille qui a mis la famille dans l’embarras, avec un garçon pas trop regardant qui a pris la fille et la dot en échange de la promesse de quitter le pays rapidement ?

Comment le savoir ? J’ai recherché des descendants du couple et j’ai trouvé une petite fille. Je l’ai contacté, je lui ai raconté l’histoire et je lui ai demandé si elle avait entendu parler d’un histoire de ce genre dans la famille ? Non, mais elle a bien ri à l’idée que sa grand-mère si pieuse, si collé montée, ait pu être cette femme-là !!!

Il a été impossible de trancher, de savoir si l’hypothèse était bonne ou erronée. Étonnamment, le client était très content de mon travail. Pourquoi ? Parce que l’histoire lui a plu.

Elle laissait la part belle à l’imagination tout en s’appuyant sur des documents. Je n’avais pas trouvé ses origines, mais je lui avais raconté une belle histoire.

Et le père dans tout cela ? Peut-être un beau militaire en garnison dans la ville.

Christine LESCENE
Christine LESCENE

Généalogiste professionnelle depuis 1993 - formatrice en généalogie professionnelle depuis 1995 - Généa bloggeuse depuis 2008

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