La lettre S nous emmène à Pontlevoy, dans la ferme de Sudais.
Le 16 novembre 1862, la ferme du Sudais a changé de fermier depuis peu. Le propriétaire, le sieur Proux à Onzain, n’a pas réussi à se mettre d’accord avec Joseph Habert, son fermier. Ce dernier a donc été prié de partir, et il a été remplacé par Jean Joly. Mais une partie des grains lui appartenant, il a laissé sur place deux hommes, pour battre le grain et reprendre sa part. Parmi eux se trouve le gendre de sa femme, Léon Proux.
Un petit peu de généalogie s’impose à ce moment de l’histoire. Joseph Habert, quarante-cinq ans ans, est marié depuis cinq ans, avec Sophie Garceau, cinquante-deux ans. Elle a été mariée deux fois avant ces noces. De son premier mariage, elle a eu plusieurs enfants, dont une fille, Julie. En 1854, Julie a épousé Léon Proux. Le mariage fut de courte durée, la jeune femme décédant le 2 mars 1862, laissant Léon seul avec une petite fille à élever.
Léon est venu vivre chez sa belle-mère et son mari.
En cette journée de novembre, Léon est à la ferme. Mais il n’est pas le seul. Noël Moreau, cinquante-quatre ans, berger attaché à l’exploitation, a rentré son troupeau vers trois heures et demie de l’après-midi. Avec le petit vacher, Louis Germain, treize ans, il s’occupe de soigner les bestiaux, le fermier s’étant absenté, en début d’après-midi, pour se rendre à Candé. Noël monte au grenier pour jeter de la paille. Tout est normal, il n’y a rien à signaler.
Pendant ces travaux, Noël ne voit rien ni personne, excepté Léon Proux, le batteur en grange, qu’il voit traverser la cours à plusieurs reprises, pour aller au puits, tirer de l’eau qu’il a ensuite porté jusqu’à la loge où il dort, près de la ferme.
Noël, sa tâche achevée, rentre se réchauffer dans la ferme. Au bout de vingt minutes, il commence à s’installer pour manger sa soupe lorsqu’il voit, par l’imposte de la porte de la cuisine, une lueur extraordinaire.
Le feu, l’angoisse permanente de l’époque et surtout des fermiers, lui vient immédiatement à l’esprit. Il sort précipitamment et voit des flammes sortir par la fenêtre du grenier. Il se précipite vers le bâtiment qui brûle, en sort les moutons et tout ce qu’il trouve sur son chemin, mais le feu gagne rapidement toute la longueur du grenier.
Toute la toiture du bâtiment servant d’habitation, d’écurie et de bergerie, long de trente-huit mètres et large de huit mètres, est entièrement détruite par le feu.
Pour Noël, pas de doute, c’est Léon qui a mis le feu. C’est également l’opinion de Marie Girault, vingt ans, la domestique de ferme. Elle a vu Léon dans la cour à plusieurs reprises, et le feu a pris un quart d’heure après la dernière.
Claude Poly, brigadier, Victor Laché et Louis Renvoisé, gendarmes à cheval, se rendent sur les lieux deux jours plus tard, pour constater les dégâts et mener leur enquête.
Evidemment, après les soupçons qui pèsent sur Léon, ce dernier est interrogé. Il leur déclare avoir quitté la ferme vers cinq heures et quart. Il n’a vu que les domestiques faire leur travail, a échangé quelques mots avec le berger, à l’arrivée de celui-ci. Il l’a vu rentrer une botte de paille dans l’écurie aux chevaux mais ne l’a pas vu monter au grenier.
En rentrant chez lui, à Chaumont, il a aperçu une lueur, par-dessus la cime des arbres de la forêt, mais a cru qu’il s’agissait de la Tartendière, où vit un de ses parents. Arrivé à Chaumont, il est revenu à la ferme, avec d’autres habitants, pour porter secours.
Léon nie avoir vu le berger jeter la paille du grenier, alors qu’il ne pouvait pas l’ignorer, se trouvant au puits à ce moment-là.
Les soupçons contre lui sont sérieux. Il aurait voulu venger sa belle-mère et son mari, qui ont été évincés de la ferme. La veille, il était chez eux, au Bois Roger, où il a dormi. Il y est retourné après l’incendie. Il aurait concocté son projet avec eux, peut-être. Mais ce ne sont là que des conjectures. Il n’y a pas de preuve contre lui, uniquement des soupçons.
Les gendarmes ont besoin de preuves et ils n’en ont pas. Ils doivent donc clore leur rapport sur un incendie attribué à la malveillance.
Les pertes sont estimées à 6 000 francs, mais la ferme est assurée et il n’y a pas de victime. Les choses semblent en être restées là.
Sauf que le soupçon fait des ravages. Était-il justifié ?
Vous avez remarqué la coïncidence ? Le propriétaire de la ferme porte le même nom que Léon. Mais pour l’heure, je n’ai pas trouvé de lien entre eux.
Il n’y a pas de fumée sans feu !