La lettre T nous emmène à Herbault.
Louis Chevessier est journalier. C’est un vaste mot qui regroupe toutes sortes d’activités, pour qui se loue à la journée. Mais si je me fie à l’état-civil, Louis est journalier et c’est tout.
En fait, Louis est tuilier. Il travaille dans la tuilerie de la veuve Boiton, en ce 2 mai 1863.
Louis a cinquante ans. Il est marié depuis dix-sept ans, avec Marguerite Madeleine Launay. S’il est natif de Françay et elle de Pray, ils se sont mariés à Herbault, où ils vivent toujours, route de Landes.
Ils ont deux filles. L’aînée, Louise Jeanne, née treize ans avant leur mariage, est mariée depuis trois ans et vit dans la commune.
La plus jeune, Jeanne Marie Louise (oui, je sais, ils n’ont pas été très originaux sur le sujet), seize ans, vit avec eux.
Ce jour-là, 2 mai 1863, à cinq heures du soir, Louis est occupé à la tuilerie avec André Renoir. Ils mettent des carreaux sous presse. Louis Renoir fait marcher la presse, et Louis Chevessier retire les carreaux de la machine, au fur et à mesure qu’ils sont pressés.
Tout marche à merveille, jusqu’à ce que notre brave Louis se retrouve gêné dans ses mouvements, par un banc placé juste derrière lui. Voulant avoir plus de place, il se retourne et, sans y penser, pose sa main sous le plateau de la presse, pour avoir un appui.
Louis Renoir n’a rien vu et le plateau écrase non seulement le carreau posé là, mais aussi la main de Louis.
L’annulaire et le doigt du milieu de la main droite sont broyés par la pression de la machine.
Le docteur Gallais, médecin à Herbault, appelé pour donner les premiers soins, ne peut rien faire pour sauver les deux doigts endommagés. Il va falloir les amputer. Mais ce n’est pas lui qui procédera à cette opération. Louis va devoir se rendre à l’hôpital de Blois où il est amputé le lendemain.
Ce banal accident du travail n’est dû qu’à la négligence. Louis le reconnait volontiers.
Mais qu’est-ce que deux doigts en moins ? Dans un monde agricole où les mains sont constamment sollicitées et abimées ? Il n’y a qu’à l’armée que cela pose un problème, et à son âge, Louis ne risque plus d’être appelé. Louis quittera la tuilerie pour être ouvrier maçon. Peut-être travaillera-t-il avec son gendre, Joseph Alexis, maçon lui-même.
A son décès, en 1878, à soixante-cinq ans, il est devenu berger.
Mais qu’il soit tuilier, maçon ou berger, son premier handicap ne l’empêchera pas de travailler. Car à la base, Louis est bègue.
Ce qui est certain, c’est que cette tuile-là, celle qui fut pressée avec ses doigts, fut une vraie tuile pour lui.