La guerre de Crimée oppose la Russie à la Grande-Bretagne, la France et la Turquie. Tout le monde connaît les noms comme Sébastopol, le zouave du pont de l’Alma, Florence Nigthingale… nom qui nous viennent directement de cette guerre commencée en 1853 et achevée en 1856. Mais la guerre en elle-même ne rappelle pas grand chose. Est-elle même traitée dans les cours d’histoire de l’école ? Du moins plus que cinq minutes ?
La Crimée est plus connue pour la crise actuelle que pour le sacrifice de plus de 95 000 soldats français, au milieu du XIXe siècle. Et tous ces soldats n’ont pas été tués au combats. Le cinéma a mis en avant les “épisodes” de Sébastopol, Balaklava, Malakoff, mais pas l’expédition de la Dobrudscha, et pour cause !!!
Le 16 Juillet 1854, l’expédition de Dobrudscha est décidée.
Le 21, la première division part, commandée par intérim par le général Espinasse, avec quatre jours de vivres dans le sac. Le 1er zouave faisant partie de cette division doit s’embarquer le 24 pour se rendre par mer à Kustendjé. Son effectif est de 1079 hommes.
La route part des hauteurs de Franka. De Varna à Kaplaki, elle s’étire sur douze kilomètres de terrain boisé. La journée est chaude, 25 à 30 degrés avec un vent nord-est. La colonne met dix heures pour faire son étape. Le bivouac est assez bon mais quatre cholériques sont diagnostiqués. Le lendemain avant le départ, ils sont trente-cinq, renvoyés à Varna.
Le 22, le général Jusuf et des Bachi-Bouzouks faisant partie de la 1ere division partent de Varna pour Kustendjé. La 2e division sous les ordres du général Bosquet, part dans la direction de Bajardjik.
Pour la 1ere division, la route de Kaplaki à Tchatal Tchesmé, s’étire sur dix-huit kilomètres de terrain boisé et de steppes. Le départ à lieu à quatre heures du matin, par une température de 30 à 33 degrés avec un vent de nord-est. Le soleil est brûlant, il n’y a pas d’abri. La marche est lente et difficile à cause de l’étroitesse du chemin et de la rapidité des pentes. Une grande halte et faite de 9 h à 3 heures et demi. L’arrivée se fait sur le plateau de Baltchick, au bivouac, entre 7 et 8 heures. Beaucoup d’hommes sont fatigués et éprouvés par la chaleur. Ils restent couchés sur la route, dans des broussailles et n’arrivent au bivouac que pendant la nuit. Un bulgare requis comme conducteur d’arabas (voiture du pays) meurt du choléra en quelques heures
Le 23, la 1ere division va de Tchatal Tchesmé à Kavarna, soit dix-sept kilomètres de steppes à traverser. Le départ est à quatre heures du matin pour la première partie de la division. A peine en route, elle est assaillie par un violent orage. La température va de 18 à 28 degrés. La deuxième partie ne part qu’à deux heures. L’arrivée au bivouac est à six heures et demie. Le campement est bon et les sources bonnes et abondantes. C’est le tour de la 3e division sous les ordres du prince Napoléon, de quitter Varna pour Kustendjé.
Le 24, la 1ere division va de Kavarna à Sattelmuch Gol, l’étape est de vingt-deux kilomètres de steppes. Le départ est à six heures du matin, la température va de 19 à 28 degrés, avec un vent de nord-est. Arrivée à midi. Le bivouac est établi sur la lisière d’un bois, dans une plaine marécageuse, au bord d’un grand lac. Il y a peu de malades mais beaucoup d’hommes fatigués et atteints de diarrhée.
Le 25, la 1ere division continue sa route de sattelmuch-Gol à Mangalia, l’étape est de vingt-six kilomètres de steppes et de plaines. Le départ est à cinq heures du matin, après une nuit très froide, et la température va de 14 à 32 degrés. La 1ere division fait une grande halte à Kartal, près d’un grand lac marécageux. Arrivée à 5 heures et demie à Mangalia. Le campement est établi à l’ouest de la ville, près des marais.
Le 26, la 1ère division effectue l’étape de mangalia à Orgloukoï, soit quatre kilomètres dans une région de marais et de lacs. Départ seulement à trois heures. Ce retard est provoqué par le renvoi des malades de l’ambulance à Varna par mer. Les bachi-bouzouks arrivent à Kustendjé.
Le 27, la 1ere division continue avec l’étape d’Orgloukoï à Orlikeuï, seize kilomètres, traversant des steppes et des marais. Le départ est à quatre heures du matin, par une chaleur étouffante, 19 à 33 degrés. Le bivouac est au bord d’un lac saumâtre. On dénombre seize cholériques gravement atteints.
Le 28 et le 29, c’est l’invasion générale et foudroyante de l’épidémie de choléra dans la 1ere division, moins forte dans la 2e division, beaucoup moindre dans la 3e.
La 1ere division fait l’étape d’Orlikeuï à Kustendjé, vingt-sept kilomètres, traverse des steppes et des marais. Elle part à cinq heures du matin, par une température de 14 à 26 degrés. Une grande halte est faite à Acidluk, sous l’orage, le tonnerre, et une pluie torrentielle. Arrivée à 8 heures du soir devant Kustendjé, au bord d’un grand lac saumâtre. On dénombre onze cholériques et quatre décès.
Les bachi Bouzoucks et le 1er zouave qui étaient arrivés à Kustendjé le 25 et 26 doivent former la tête de colonne et partent de cette étape de grand matin, pour céder la place au reste de la division, mais laissent leurs éclopés. Cette avant-garde fait une grande halte à sept heures, au bord du lac de Pallas, se remet en route à midi par une chaleur accablante. Les bachi-bouzouks prennent les devants de la colonne que la division suit à distance. Pendant cette marche, le nombre de cholérique devient si considérable que la colonne est obligée de s’arrêter pour attendre des moyens de transport demandés à Kargalick, où le général Jusuf était déjà arrivé avec les bachi-bouzouks. La troupe traverse des marais pestilentiels.
Le 1er zouave compte soixante cholériques et vingt décès. Le médecin major seul présent (l’aide major était resté à Kustendjé pour soigner les premières victimes de l’épidémie) établit ses malades dans quelques maisons abandonnées et laisse des zouaves valides pour les garder.
Le 29, la 1ere division marche est en avant des bachi-bouzouks et des zouaves. Le départ est à dix heures du matin, sans sac, sous l’orage et une pluie torrentielle. Le reste de la division part à 3 heures et demi, sans sac et sans bagages. Les malades (cent-huit dont trente-six cholériques) sont laissés à Kustendjé. Un bataillon du 7e de ligne reste pour la garde de ces malades et donne treize cholériques. La division marche jusqu’à une heure du matin, à travers des terrains marécageux et arrive à Kargalick, village bulgare infect et sans ressources où sont déjà les bachi-bouzouks et les zouaves. La nuit est froide et humide.
Le nombre de cholériques prend des proportions telles qu’il faut revenir sur ses pas et l’expédition est annulée. Une marche rétrograde s’engage, difficile et pénible à cause de la pluie et du grand nombre de malades. Les moyens de transport sont de beaucoup insuffisants. Un certain nombre de cholériques sont portés à bras, d’autres sont placés sur des brancards improvisés par les hommes du 9e bataillon de chasseurs à pieds. A huit heures du soir, arrivée au bivouac quitté le matin. L’effectif des bachi-bouzouks est réduit de moitié.
Le 30, la 1ere division est sous une chaleur accablante. Un grand nombre de cholériques sont apportés mourants à l’ambulance. Les bachi-bouzouks, suivant leur marche rétrograde, arrivent à Kustendjé s’établissent dans la ville et partent le lendemain pour Mangalia, laissant les maisons remplies et les rues jonchées de cadavres et d’agonisants. Sur toute la route on relève un grand nombre de cholériques.
Le 31, c’est le départ de la 1ère division pour Kustendjé à huit heures du matin après une nuit froide et humide. Il y a cent-soixante-six cholériques à transporter, ainsi qu’un grand nombre de diarrhéiques et d’hommes affaiblis et fatigués. Arrivée à onze heures au bivouac de Kustendjé. Les malades sont immédiatement conduits au sud-ouest de la ville, près de la mer, pour faciliter leur embarquement. Deux-cent-quarante malades non cholériques sont embarqués pour Varna et pendant la courte traversée donnent trente-quatre cholériques.
Le général Canrobert arrive dans la soirée au bivouac de Kustendjé et fait prendre, dans la limite du possible, toutes les mesures propres à conjurer ou diminuer la gravité de la situation.
En deux semaines, la campagne militaire s’est transformée en convoi de malades.
1ere division et Bachi-bouzouks ………………… 2610 cholériques, 1939 décès
2e division ……………………………………………………. 481 cholériques, 307 décès
3e division …………………………………………………… 47 cholériques, 31 décès
Soit un total de 2277 morts sans qu’un seul coup de feu soit échangé avec l’ennemi.
Le meilleur allié de la Russe, fut, à ce moment-là, le choléra.