Le deuil d’une vie

Pour ce premier challenge des ateliers blog, le sujet à traiter était “une émotion généalogique”. Laquelle choisir ? Une gaie, une triste, une joyeuse, une surprenante, une …

Le choix était difficile car la généalogie est une perpétuelle source d’émotions.

J’ai choisi de parler de mon grand-oncle, Marcel. Et de parler du deuil d’une vie, la sienne.

Qui était Marcel Gontier ?

Enfant, et même bien après, j’adorais écouter ma mère raconter les histoires de la famille. Elles étaient souvent drôles, pleines d’anecdotes sur les travers des membres de la famille. J’aimais aussi regarder les rares “reliques” familiales que ma mère conservait soigneusement dans des boîtes et des coffrets.

C’est ainsi que j’ai trouvé cette drôle de petite plaque en métal, si légère, la plaque militaire de Marcel. S’il n’y avait pas son nom, et son matricule, cette petite plaque ne ressemblerait à rien d’officiel. “Gontier Marcel 1917 (pour sa classe)” et de l’autre côté “Le Havre 1677 (matricule au recrutement)”.

Marcel était l’oncle maternel de Maman. Elle ne l’a jamais connu, et pour cause. Marcel est tombé au champ d’honneur, le 8 novembre 1916, à Sailly-Saillisel, dans la Somme.

Cette plaque, il la portait sur lui, lorsqu’il est a été blessé, lorsqu’il est mort.

Le 8 novembre 1916, à Sailly-Saillisel

La nuit a été particulièrement agitée vers 21h et vers 24 h. Les allemands ont perçu des mouvements de relève à notre droite et ont déclenché sur nos lignes des tirs de barrage très violents. Ces tirs, l’état de l’atmosphère et du terrain ont rendu les travaux extrêmement pénibles. Les hommes sont dans l’eau et dans la boue jusqu’aux genoux. Les tranchées sont pleines de boue. Les travaux ont été menés avec la dernière énergie cependant. La 1ere ligne est réunie partout, des éléments de la ligne 1bis ont été amorcés. Vers 15 h, les allemands exécutent un tir très violent sur nos tranchées de 1ere lignes et sur toute la zone arrière. Le secteur de la 2e compagnie est particulièrement éprouvée. A 18h30, les allemands attaquent la 2e compagnie après avoir démoli le barrage. Ils rentrent dans notre tranchée d’où une contre attaque vigoureuse les chasse. Le compte rendu de cette affaire est adressé à la brigade. A 20 h, le lieutenant colonel reçoit des ordres relatifs à une attaque ayant pour but de prendre 1693 et l’église de Sailly Saillisel. Nuit assez calme.

Extrait du journal de marche du 150e régiment d’infanterie le 8 novembre 1916

Ce jour-là, les pertes ont été de 1 sous-officier et 14 soldats tués, 1 officier, le sous-lieutenant Bonneviale, 6 sous-officiers et 37 soldats blessés, 1 disparu.

Marcel fait partie des 14 soldats tués, ce jour-là. Il n’est pas tombé au champ d’honneur, mais il a été grièvement blessé lors des combats.

Il est décédé des suites de ses blessures à onze heures du soir. Marcel aurait fêté ses dix-neuf ans le mois suivant.

L’officier payeur du 150e régiment d’Infanterie ne rédigera son acte de décès que le 17 novembre 1916. Son régiment est alors à Croirault, dans la Somme. L’officier qui rédige l’acte de décès n’a pas pu voir le corps, comme l’exige la loi. Marcel a déjà été inhumé. C’est sur le témoignage d’un sergent et d’un caporal du régiment, que l’acte est établi.

Le maire du Havre va recevoir sa copie plusieurs mois après. Il va en rédiger la transcription le 12 mai 1917.

La plaque militaire de Marcel a été rendue à sa famille, et son corps a été rapatrié chez lui, au Havre. Il y a été inhumé, au cimetière Sainte-Marie, dans le carré militaire. Son nom a également été gravé sur le monument aux morts de la commune.

Et après sa mort

Tous les ans, pour le 11 novembre, ma grand-mère, sa sœur, emmenait ses enfants au monument aux Morts, pour qu’ils puissent lire son nom et se souvenir de lui. Il était l’aîné d’une fratrie de trois enfants, et le seul garçon. Sa mère ne lui survécu que quelques années. Elle est décédée en 1921, laissant seules ses deux filles, face à un deuil impossible à faire, celui d’un jeune garçon sacrifié sur l’autel de la guerre. Face au deuil d’une vie. Ironie de la chose, Marcel est décédé avant d’avoir l’âge de faire son service militaire.

Il ne reste de lui, aujourd’hui, ni photo ni lettre, uniquement cette plaque de métal, son nom sur le monument aux Morts et sa tombe, dans le carré militaire.

Je conserve précieusement cette relique du passé, avec les quelques autres petits morceaux d’histoire familiale qui nous sont parvenus, malgré les déménagements et les successions.

Pour en savoir plus sur Marcel : Bataille de la Somme

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Christine LESCENE
Christine LESCENE

Généalogiste professionnelle depuis 1993 - formatrice en généalogie professionnelle depuis 1995 - Généa bloggeuse depuis 2008

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Un commentaire

  1. Très émouvant de retracer l’histoire de Marcel à partir de cette petite plaque qui reste une marque de son passage dans l’Histoire. Présentation de l’article sympa.

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