A près de 12000 kilomètres de là, le Tambora, un volcan indonésien, a donné de la voix et soufflé l’enfer sur terre, au printemps 1815. Il a émis une telle quantité de cendres que les rayons solaires ont été atténués. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu d’été et que l’hiver est un des plus rigoureux que la France ait connu.
Les temps sont durs, et pas uniquement par leur température. L’empereur a perdu la bataille à Waterloo, cette terne terre de Belgique, embourbée par les pluies qui n’en finissent pas et que le soleil, soldat déserteur de ce combat, ne peut sécher. Si on lui avait dit qu’un Volcan d’un autre continent avait sa part de responsabilité dans cet échec !!!
La France est occupée, la Normandie aussi. Les prussiens et les anglais sont là, en territoire conquis, qu’il faut nourrir. Mais la nourriture fait défaut, ainsi que le fourrage pour les chevaux de l’occupant. L’été a été catastrophique pour les récoltes.
Est-ce à cela que pense Pierre Dominique Fouache ? Il est six heures du soir. la nuit est tombée tôt, ce samedi 2 décembre 1815. Après sa journée de travail, Pierre Dominique est rentré chez lui chercher son dernier enfant, Pierre Lucien, né la veille, à la même heure. Le nouveau-né est soigneusement emmailloté. Il ne faudrait pas qu’il attrape la mort, par ce temps froid et humide. Pierre Dominique l’emmène à la mairie d’Hermeville, pour que Simenel, l’adjoint au maire, rédige son acte de naissance. Arrivé-là, le bébé est déshabillé pour constater que c’est bien un garçon. Pierre Dominique à l’habitude. C’est la treizième fois qu’il se rend à la mairie pour les mêmes choses. Il y est aussi allé pour déclarer trois décès de ses petits. Le maire a dû l’accompagner chez lui pour voir les corps et constater la mort des enfants. Il y a d’abord eu l’aîné, Dominique Louis, mort à un mois, en 1791, puis le suivant, Dominique, mort le lendemain de sa naissance, en 1792. Son neuvième, Prudence Guillaume, a vécu plus longtemps, quatorze mois, mais il est mort en 1806.
Heureusement, les autres vont bien et grandissent vite. Mais là, ce sera le dernier. Pierre Dominique a déjà cinquante ans, et sa femme en a quarante-quatre. Elle est bien fatiguée, Marie Anne Julie Bredel. Treize grossesses en vingt-quatre ans, encore heureuse de n’avoir perdu que trois petits.
Pierre Lucien sera le dernier de la fratrie. D’autant que sa fille Sophie Aimée, a eu une petite, il y a deux ans, sans père. Cet enfant, qu’il est allé déclarer à la mairie, Victoire Mélanie, il va bien falloir l’élever aussi. Père et grand-père à la fois, heureusement qu’il est en bonne santé, et qu’il peut louer ses bras.
Mais, pour l’instant, il s’agit de déclarer son dernier né. Pierre Houel, vingt-neuf ans, tisserand, et Augustin Eude, quarante-quatre ans, fabriquant de toiles, sont ses témoins. L’acte est dressé, l’adjoint au maire leur lit le texte et tous les trois le signent. Aujourd’hui, Pierre Dominique sait signer de son nom les documents officiels. Ce n’était pas le cas, lors de la naissance de ses premiers enfants.
A l’époque, il ne faisait qu’une croix, sa marque. Mais les temps changent. Il espère que ses fils auront plus d’instruction que lui.
La nuit est noire au dehors, il ne faut pas s’attarde. Le bébé ne va pas tarder à avoir faim et réclamer sa mère. Il emmitoufle l’enfant dans sa couverture, le serre contre lui, et quitte la mairie. Dans moins d’une heure, ils seront tous les deux au chaud, près du feu, au milieu des leurs.
Ils laisseront dehors, les histoires des Grands de ce monde et les soubresauts de la terre. L’important, pour Pierre Dominique, ce sera d’avoir du travail demain, pour nourrir toute sa famille.
La plus impressionnante éruption volcanique que l’être humain ait jamais connue est celle du Tambora en 1815, sur l’île indonésienne de Sumbawa. 10 000 morts directs, 100 000 dans la région. Y a pas comparaison, c’est beaucoup plus efficace qu’un tsunami de mélasse. Pas le genre à faire dans la dentelle.
