Le froid tue, la négligence aussi

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Le 20 décembre 1878, Auguste Vée, vingt-deux ans, marchand épicier à Lessert, La-Ville-aux-Clercs, Loir-et-Cher, se rend à Vendôme pour acheter des marchandises. Avant de partir, il demande à son père de le rejoindre à la gare, pour, à son retour, l’aider à porter ses achats. La gare de Pezou est à quatre kilomètres de l’Essert. Les chutes de neige sont abondantes.

Jean René Vée, le père, cinquante-sept ans, quitte sa maison vers quatre heures du soir pour se rendre à Pezou. Le train arrive à cinq heures trois-quart et en attendant, il va boire une goutte d’eau de vie chez Voisin, le cafetier de Pezou.

Voici la version du fils “lorsqu’Auguste arrive en gare, son père n’est pas là. Il prend donc la route, pensant croiser son père, mais non. Il arrive chez lui où l’attend sa mère. Le père n’est toujours pas là. Vers onze heures, toujours sans nouvelle, ils préviennent les voisins pour faire des recherches. Le fils part avec cinq hommes et vont jusqu’à Pezou.

Interrogé, le cafetier leur dit que Jean René est parti dès qu’il a entendu le train et le facteur d’enregistrement de la gare, Landon, dit qu’il l’a vu à la carrière du chemin de fer, vers six heures, se dirigeant vers l’Essert.

Ils vont le chercher toute la nuit. Le 21 vers sept heures du soir, le fils se rend à la gendarmerie pour déclarer la disparition de son père.”

Les gendarmes ne sont pas content, les recherches auraient dû commencer plus tôt. Les chutes de neige sont abondantes et le temps glacial. Ils poussent le fils a reprendre les recherches avec la famille et les voisins et à sonder les fossés et les ravins, pour voir si le père n’est pas englouti sous la neige. Pendant tout le dimanche, les recherches se poursuivent. Ce n’est que le lundi martin, vers neuf heures, que deux voisins, Jules Leroux et Eugène Glaume, le retrouvent, dans la plaine de Chambord, sur la commune de Lisle, couché la figure dans la neige et ne donnant plus signe de vie. Les chutes de neige ont été particulièrement abondante.

Le fils se rend à la gendarmerie, le 23 décembre, pour faire la déclaration à la gendarmerie, à Jacques Wittenmeyer, brigadier, et à Pierre Piou. Aussitôt, les gendarmes, accompagnés du maire, se rendent sur les lieux. Ils examinent le corps, à la recherche de blessures pouvant indiquer un crime, mais rien. Le corps est couché sur le ventre, la figure appuyée sur le bras gauche, avec à côté de lui sa casquette et son parapluie. Les traces dans la neige indiquent qu’il est tombé, plusieurs fois, qu’il n’a pas retrouvé son chemin à cause de la neige et qu’il a dû succomber de fatigues, le samedi, dans la matinée, après les chutes de neige, car les traces sont bien visibles.

Il s’avère que Jean René s’est arrêté chez Voisin, le boulanger, pour acheter dix centimes d’eau de vie et qu’il est parti vers la gare pour en revenir aussitôt car Voisin, qui arrivait de Vendôme, l’a prévenu du passage de son fils, disant qu’il pouvait le rattraper. En vain.

La rumeur publique est sans pitié pour la veuve et le fils. Les habitants de Lessert certifient qu’ils n’ont été prévenus que le dimanche, de la disparition de Jean René, sans quoi ils seraient partis immédiatement à sa recherche. De plus, son chien, rentré seul vers huit heures, avait essayé de prévenir ses maîtres qui n’en ont pas tenu compte. D’après les voisins, au lieu de chercher son père comme il l’a prétendu aux gendarmes, le fils a passé la journée du samedi à la foire de la Ville-aux-Clercs. Le pauvre Jean René était fort malheureux entre sa femme et son fils. Ils le traitaient moins bien qu’un pauvre domestique et il avait bien de la peine à obtenir dix centimes pour son tabac. Il ne s’amusait jamais et, surtout, n’y voyait pas bien clair. On comprend mieux pourquoi, une nuit d’hiver et sous la neige, il a pu se perdre et en mourir.

Le corps est ensuite laissé à disposition de la famille, pour qu’il puisse être inhumé. Le médecin de la Ville-aux-Clercs, Roux, qui l’examine, signe le certificat de décès : asphyxié par le froid.

Jean René est mort de froid et d’épuisement, mais aussi de négligence familiale.

Christine LESCENE
Christine LESCENE

Généalogiste professionnelle depuis 1993 - formatrice en généalogie professionnelle depuis 1995 - Généa bloggeuse depuis 2008

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