Lorsque nous faisons nos recherches, nous sommes totalement dépendants des archives et des documents qui sont parvenus jusqu’à nous. Lorsqu’il y a des lacunes, nous devons “broder” pour reconstituer les évènements sur lesquels nous travaillons.
Mais parfois, les documents nous induisent en erreur, car, il faut bien le reconnaître, il y avait parfois quelques petits arrangements avec la loi, et, sans le document providentiel, nous pouvons passer à côté de l’histoire dans l’histoire.
C’est le cas de la mort de Paul Vincent Grillon.
François Grillon et Madeleine Martine Besnard se sont mariés à Saint-Léonard-en-Beauce, en 1847. Ils ont six enfants, dont Paul Vincent, né le 22 janvier 1857, avant-dernier de la fratrie.
Si j’en crois les registres d’état civil, Paul décède chez ses parents, le 6 juillet 1870, à cinq heures du soir. Il a treize ans. Son père déclare son décès le lendemain, à sept heures du matin, à la mairie de Saint-Léonard-en-Beauce.
Fin de l’histoire ? Pas vraiment.
Les archives de la gendarmerie racontent une autre histoire.
Le 6 juillet 1870, dans la ferme de la Petite Brosse, à la Madeleine-Villefrouin, a quatre heures et demie du soir, le fermier, François André Beaujouan, finit son repas avec ses domestiques. Il envoie le petit Paul Grillon, nouvellement arrivé à la ferme, ramasser et mettre dans un sac des débris de fourrage, dans le grenier à fourrage. Ces débris seront pour nourrir les vaches.
Eugénie Lucas, seize ans, domestique dans la ferme, l’appelle mais il lui répond qu’il n’a pas fini de remplir le sac. Un quart d’heure après, elle l’appelle de nouveau, mais, sans réponse de lui, et ne le voyant toujours pas descendre du grenier, elle demande à Célestin Hubert, dix-sept ans, domestique aussi, de monter au grenier voir ce que fait le petit Grillon. Il faut dire qu’il est plutôt paresseux.
Célestin, monté au grenier, le trouve pendu à une corde fixée à une traverse de la charpente. La corde sert à monter les sacs de foin. A la vue de ce terrible spectacle, il appelle le fermier qui se précipite à son tour, et coupe la corde. Mais l’enfant ne donne plus signe de vie.
Cela faisait deux semaines qu’il était au service de François Beaujouan. Il avait été réprimandé à plusieurs reprises pour sa paresse, mais n’en tenait aucun compte. Son patron l’avait menacé, le matin-même, de le renvoyer chez ses parents s’il n’était pas plus travailleur.
Pourtant, le fermier ne pense pas que ce soit pour cela qu’il s’est suicidé. Il était visiblement insensible à toutes les remarques qui pouvaient lui être faites.
Les gendarmes, appelés sur place, procèdent aux constatations habituelles. La traverse où est fixée la corde est à une hauteur de quatre mètres environ. Paul a fait un simple noeud puis y a passé la tête et le poids de son corps a fait le reste, suffisant à serrer le noeud, bien que la corde fasse sept centimètres de circonférence.
Le fermier a la réputation d’être quelqu’un de très doux et est estimé de ses voisins. Les gendarmes n’ont aucun doute sur ce qui c’est passé. Quand aux raisons qui ont poussé un petit garçon de treize à mettre fin à ses jours, les questions restent sans réponse.
Le corps est rendu à ses parents et inhumé à Saint-Léonard-en-Beauce. La loi est pourtant claire, c’est à la Madeleine-Villefrouin qu’aurait du être déclaré le décès, pas à Saint-Léonard-en-Beauce, et le lieu de décès est la ferme de la Petite Brosse, pas le domicile de son père. C’est pourtant ce qui est indiqué dans l’acte de décès.
L’affaire ne s’arrête pas là. La presse, qui a relaté le suicide, publie un rectificatif le 13 juillet. Le décès est accidentel. Paul jouait dans le grenier avec la boucle de la corde. Monté sur des bottes de foin, il aurait glissé et sa tête se serait malheureusement engagée dans la boucle de la corde. Cette thèse est confortée par le fait que rien ne peut faire supposer à un suicide, Paul étant heureux de sa position et il déclarait à qui voulait l’entendre, qu’il était enchanté de ses maîtres.
Au final, on pourra dire que Paul s’est accidentellement suicidé.
N’oubliez pas qu’à l’époque, encore très catholique, un suicide est une infamie pour la famille. Et les suicidés ne pouvaient pas être inhumé par l’église.
Mais suicide ou accident, la mort de Paul reste une tragédie, qui montre qu’il ne faut pas se fier aveuglément aux documents qui nous sont parvenus, même les plus légaux.