La bataille de Rezonville
Au matin du 16 août 1870
L’armée de Bazaine est en partie au repos, entre Vionville, Rezonville et Gravelotte. La colonne sud attend que la colonne de gauche arrive à sa hauteur. Mais la bataille de Borny, le 14 août, a retardé cette dernière. Le IIIe corps allemand et les 6e et 5e divisions de cavalerie, sont commandés par le lieutenant-général Von Alvensleben II. Alors que la colonne sud est en repos, le IIIe corps l’attaque sur son flanc gauche.
Les Français sont en supériorité numérique, mais l’armée rate cette occasion, comme elle en ratera bien d’autres durant cette guerre.
Très vite, les autres corps allemands arrivent pour soutenir les troupes de Von Alvensleben II.
Les combats
Les combats vont durer de 10 heures du matin à 8 heures du soir. Appelée bataille de Rezonville ou bataille de Gravelotte, les combats vont s’étaler sur les communes de Gravelotte, Doncourt, Vionville, Mars-la-Tour, Tronville et Flavigny.
Malgré les charges héroïques de la cavalerie, celle des cuirassiers de la garde et celles de la cavalerie Ladmirault, aucune victoire, de part et d’autre n’est déterminée. Les deux armées bivouaquent le long de la route, de Gravelotte à Mars-la-Tour. Chacune revendique la victoire.
Ce jour-là, 135 000 français ont affronté 90 000 allemands.
Les pertes sont importantes. Du côté français, trois généraux ont trouvé la mort, avec 145 autres officiers, et 1 220 soldats. Les blessés sont nombreux : 597 officiers et 9 525 soldats . Les Allemands ne sont pas mieux lotis. Leurs pertes sont aussi importantes, avec 198 officiers et 3091 soldats tués, 381 officiers et 9 901 soldats blessés.
Outre les morts et les blessés, les disparus sont aussi nombreux : 93 officiers et 5 379 soldats français, 2 officiers et 1 247 soldats allemands.
Dans la nuit, Bazaine fait évacuer le champ de bataille pour prendre position en arrière, entre la Mance et le ruisseau de Châtel. Pour cela, il faut évacuer les blessés sur Metz et ravitailler l’armée en vivres et en munitions.
Deux jours plus tard, le 18, ce sera la bataille meurtrière de Saint-Privat (Gravelotte pour les Allemands).
Le 20e dragons à Rezonville
Position stratégique
Le 20e dragons fait partie de la 2e brigade de la cavalerie de la Garde. Au matin du 16 août, il escorte l’empereur jusqu’à dépasser Conflans. A partir de là, les 1er et 3e chasseurs assurent l’escorte impériale et le 20e dragon se met en repos, les chevaux à la corde.
Il est 10 heures du matin. Les hommes préparent leur repas. C’est alors que le canon se fait entendre, dans la direction de Rezonville et Mars-la-Tour. Le général Defrance, qui dirige la brigade, reçoit l’ordre de faire monter ses hommes à cheval et de marcher au canon.
Les cavaliers partent au trot. Ils traversent le village de Villers-les-prés et s’engagent dans le bois de Greyere. Les combats ont lieu au-delà des bois. Le village de Rezonville semble en être le centre.
Le général Defrance met alors sa brigade à disposition du général Du Barrail. Avec le 2e régiment de chasseurs d’Afrique, près du bois, elle forme l’extrême droite de la ligne française. Et les hommes attendent.
La charge
Vers 6 heures du soir, l’Etat major informe le général Defrance que la cavalerie allemande cherche à tourner l’aile droite française pour tomber sur l’arrière de l’infanterie. Les hommes du 20e dragons, comme tous les cavaliers de la brigade, doivent alors rejoindre et combattre l’ennemi.
Le mouvement est difficile. Les cavaliers doivent descendre un énorme ravin presque à pic. Un fois fait, ils leur faut franchir un ruisseau boueux, et remonter ensuite le versant opposé. Une fois atteint le plateau, ils doivent se remettre en formation.
Cette manœuvre périlleuse exécutée, le régiment, aux ordres du colonel Latheulade, s’avance vers le village de Ville-sur-Yron. La troupe allemande est juste là, en face. L’ordre de charger est alors donné de part et d’autre, français et allemand.
Le choc est terrible. Une mêlée furieuse s’ensuit. Les coups de lance, de sabre et d’armes à feu font tomber les hommes de leurs chevaux.

Jean Giret, brigadier au 20e dragons est au cœur de la bataille. Il est frappé à plusieurs reprises pendant le combat, touché par onze coups de sabre.
Puis les clairons sonnent le ralliement. Les rescapés reviennent former les rangs sur le plateau d’où la brigade est partie. Mais les cavaliers allemands les poursuivent jusqu’au bord du ravin. De là, ils tirent sur les cavaliers français, tombés en voulant repasser la rivière boueuse.
Beaucoup de chevaux sans cavalier rejoignent leur place dans les rangs. A l’appel, il manque 170 hommes et 17 officiers, au 20e dragons. Certains rejoindront le régiment le lendemain et les jours suivant. La bataille, quant à elle, est perdue.
Au total, il y aura 2 officiers, 25 sous-officiers et soldats de tués, 15 officiers et 50 sous-officiers et soldats de blessés et 8 officiers et 40 sous-officiers et soldats disparus.
Les blessés
L’ambulance de Mogador
Avant la bataille, l’ambulance de la garde ne peut suivre les cavaliers dans les champs labourés. Elle s’installe donc à la ferme de Mogador. C’est également là que s’installe l’ambulance du quartier général du 6e corps.
La ferme se compose d’une longue suite de bâtiments, séparant deux cours immenses entièrement entourées de murs. Les granges sont remplies de paille et de foin.
L’ambulance de la garde s’installe dans la cour de gauche. Bientôt, les blessés affluent, de tous les corps d’armée : garde, ligne, infanterie, artillerie, cavalerie, Français et Allemands.
Si l’ambulance installée à la ferme de Mogador est bien organisée, il n’en est pas de même partout. Un millier de blessés, rassemblés au château de Villers-au-Bois, est sans secours en vivres ou matériels.
Toute la nuit et la matinée du 17 août, les blessés ne cessent d’affluer. Soignés, ils sont couchés dans la paille dans les chambres, les granges, les écuries et la ferme. L’espace n’est pas suffisant, alors des tentes sont montées, très vite remplies.
Mais les Allemands arrivent. Il faut évacuer les blessés le plus vite possible. Alors les ordres sont de rallier Metz. Les voitures du train auxiliaire partent pour Metz, remplies de blessés, et cela ne suffit pas.
L’évacuation des blessés
Tous les blessés pouvant marcher quelques kilomètres partent à pied. Des voitures et cacolets, chargés de 420 blessés partent également vers Metz. Il reste encore 300 blessés à évacuer.
Où se trouve Jean Giret ?
Mais l’armée allemande sera bientôt là.
Un médecin major et deux aides majors, sont choisis dans chaque ambulance, celle de la garde et celle du quartier général du 6e corps. Ils resteront avec les blessés, jusqu’à ce que l’on puisse leur envoyer d’autres moyens de transport.
Mais un quart d’heure après le départ de la dernière voiture, il est trop tard. Les Allemands sont là. Ils réquisitionnent la ferme de Mogador et organisent l’évacuation des blessés, vers l’intérieur de leurs lignes, prisonniers.
Tous n’y parviendront pas car le médecin resté avec eux, profite de la confusion pour prendre un chemin qui les ramène sur la route de Metz. Ils y arrivent enfin vers 11 heures du soir. Le médecin réclame immédiatement des moyens de transport. Il reprend la route de Mogador au milieu de la nuit et y arrive au point du jour.
Les véhicules sont alors chargés des blessés qui sont restés sur place et de ceux ramassés le long de la route. Ils repartent sur Metz. Ceux-là ne seront pas prisonniers.
Les onze coups de lance de Jean Giret
Les blessures de Jean
Né à Sainte-Marie, en Charente, le 13 juin 1846, Jean Giret est le fils de Jean Giret, cultivateur, et de Marie Dagniaud, sa femme.
Agé de vingt-quatre ans, il est brigadier au 20e dragons. Il est au service militaire depuis plus de quatre ans lorsque la guerre éclate. Le 16 août, pendant la bataille de Rezonville, Jean Giret reçoit onze coups de sabre portés au bras et à la main gauche, au poignet et à la jambe droite, et à la tête.
Jean souffre d’une fracture de l’humérus gauche, au niveau du bord externe du biceps, d’une plaie à l’éminence hypothénar avec fracture du 5e métacarpien, main gauche, de trois plaies au-dessus du poignet droit avec subluxation du cubitus, d’une plaie à la tête, avec fracture du pariétal, à gauche. Il a également des plaies à l’avant-bras gauche, aux parties supérieures et moyennes postérieures, des plaies à la face, au front et au nez, et une plaie à la jambe droite, partie moyenne.
La vie après
Les conséquences de ces blessures sont nombreuses. Il a ainsi perdu les mouvements des doigts de la main gauche. Il souffre également d’une ankylose radio-carpienne et d’une paralysie de la main droite. Sa blessure à la tête, quant à elle, a occasionné une perte de substance du pariétal, des cicatrices adhérentes et des névralgies fréquentes.
A compter du 21 mars 1872, l’armée lui octroie une pension. Il reçoit, pour la perte de l’usage de deux membres, une pension 505 francs. Il est toujours en activité, domicilié à Angoulême. (Bulletin des lois n°124, décret n°1609).
Etant donné son état de santé, il n’est pas étonnant de retrouver Jean, vivant chez son père, lors du recensement de 1872. Son frère, Guillaume, et la famille de celui-ci habitent dans la même maison. Ils vivent à Orival, en Charente.
Cette année-là, Jean épouse, le 27 août, à Nonac, Charente, Jeanne Duxon. Il exerce le métier de facteur rural, souvent attribué aux soldats mutilés. Il est indiqué ex-brigadier de lanciers, décoré de la médaille militaire.
Mais le mariage sera de courte durée. Jean décède le 7 janvier 1873, à Saint-Christophe, où le jeune couple s’est installé. Il laisse une jeune veuve de vingt-trois ans.
Elle se remariera l’année suivante, le 24 septembre, avec Sylvestre Stanislas Lubespere, veuf âgé de trente-neuf ans, employé aux chemins de fer.
Ainsi s’achève l’histoire de Jean Giret, rescapé de onze coups de sabre reçus à la bataille de Rezonville.