Qu’ils soient morts pour la France, morts en temps de guerre, sous l’uniforme, ou portés disparus déclarés morts, passés par les armes, de maladie due ou non au service, nos poilus ont payé un lourd tribut. Au-delà de l’acte de décès ou de la fiche éventuelle de “Mémoire des hommes”, il existe des documents riches en renseignements, aux archives départementales.
Les listes des morts
Dans la série R, se trouvent des listes : listes des disparus et morts, listes des diplômes des morts pour la patrie, année après année, et même des affiches avec la liste des enfants de la commune, tombés au champ d’honneur, dont les noms seront inscrits sur le Monument aux Morts.
Il y a également des statistiques par commune, des morts et disparus, par catégorie socio-professionnelle.
Pour le Loir-et-Cher, la liste s’établit ainsi : 6036 agriculteurs, 158 bûcherons, 67 maréchaux-forgerons, 37 serruriers, 78 mécaniciens, 29 autres artisans des métaux, 182 artisans travaillant le cuir, 306 artisans travaillant le bois, 35 artisans travaillant dans le vêtement (dont 24 tailleurs et 2 chapeliers), 138 boulangers, 79 bouchers, 52 charcutiers, 34 cuisiniers, 17 pâtissiers, 2 confiseurs, 38 aubergistes, 20 hôteliers, 25 autres professions de l’alimentation, 1 architecte, 4 entrepreneurs du bâtiment, 244 maçons, 8 ébénistes, 2 céramistes, 29 carriers, 18 horlogers, 45 autres artisans de la construction, 17 industriels, 282 ouvriers d’usines, 85 commerçants, 206 employés de commerce, 104 fonctionnaires de l’état, 41 fonctionnaires départementaux, 9 fonctionnaires communaux, 18 notaires, 1 avocat, 1 avoué, 10 médecins, 273 autres carrières libérales, plus 676 autres métiers non indiqués plus haut.
La guerre a coûté 9407 professionnels au département du Loir-et-Cher. Les mêmes listes existent par commune.
A côté de ces listes générales et non nominatives, mais néanmoins instructives, se trouvent des listes nominatives et par commune. En 1921, chaque commune dresse la liste de ses veuves et orphelins de guerre. La commune de Naveil, Loir-et-Cher, recense quinze veuves de guerre et vingt orphelins. Quatre veuves sont remariées. Dans les observations, l’on peut lire que l’enfant de René Danger a également perdu sa mère, depuis le décès de son père et qu’il vit chez son grand-père, à Naveil. Que la veuve de Louis Godineau, non remariée et ayant un enfant à charge, a également recueilli les trois orphelines en bas-âge que son frère, mort à la guerre, et sa belle-sœur, récemment décédée, lui ont laissées. Que Joséphine Hermelin, veuve d’Achille Luxereau, a abandonné ses deux enfants à l’hospice du Saint-Cœur de Vendôme. Qu’Alphonse Pasquier et Marie Altehnhoven, sa femme décédée depuis la mort de son mari, laissent un orphelin de treize ans, à la charge de son grand-père. Pour chaque ligne du formulaire, il y a un drame familial.
Les pupilles de la nation
Pour ceux de ces orphelins qui auront droit au statut de pupille de la nation, des dossiers nominatifs sont conservés aux archives. Le contenu de ces dossiers permet de suivre l’enfant jusqu’à sa majorité, voire au-delà. Malheureusement, tous les dossiers n’ont pas été conservés. Dans le Loir-et-Cher, seules deux lettres de l’alphabet n’ont pas été détruite. Dommage, car aujourd’hui, ces dossiers disparus manquent à nos recherches. Ces dossiers peuvent être succincts, ou bien très complets. C’est le cas de celui de la petite Jeanne Branlard, née le 3 avril 1915 à Saint-Amand-de-Vendôme. Son père, Clotaire, sergent, a été tué à l’ennemi, le 13 novembre 1915, à Vaux. Sa mère, Angéline Teinturier, est décédée, le 27 mai 1917. Son dossier contient son carnet de santé avec les maladies qui ont été soignées, et les adresses où elle a vécu. Il y a également des courriers de demandes d’aide, très explicatives. Le 11 février 1936, elle fait une demande de remboursement de soins dentaires. Rien de plus normal si ce n’est que la demande, adressée par le service compétent, fourmille de renseignements sur sa vie : où elle travaille, son fiancé, ses relations avec la famille de celui-ci et les relations avec sa famille. La jeune fille est fâchée avec sa grand-mère et tutrice. La lecture des petites lignes semble pencher vers un rejet du fiancé, étudiant en pharmacie et d’une famille honorable de pharmacien, et peut-être un détournement d’héritage qu’il faudra bien expliquer avec les comptes de tutelle. A ce point qu’il est suggéré de ne pas payer la subvention à la tutrice, mais directement à la pupille, qui vit de son travail et non des aides de sa famille et qui a déjà payé ses frais dentaires. Le soupçon est grand. Un truc à creuser. Il y a d’ailleurs, la liste des secours accordés à l’enfant et leur montant.
Les jugements déclaratifs de décès
Parlons maintenant des morts. Ils sont à classer en deux catégories : les morts certains et les disparus. Dans le premier cas, un certificat de décès a été dressé, envoyé aux maires des communes du dernier domicile connu. Dans le second cas, les familles sont dans l’expectative. Elles se doutent bien que leur enfant, père, mari, est mort. Il n’a plus donné de nouvelles depuis des semaines, des mois, voire des années pour les plus anciens disparus, ceux des premiers jours de la guerre. Il reste toujours une petite lueur d’espoir tapie au fond de leur cœur : et s’il était prisonnier, et s’il y avait eu une erreur de nom, et s’il était dans un hôpital, amnésique, et si…
Les demandes de renseignement des familles, directement ou par le biais du maire de leur commune, arrivent en préfecture, avant d’être adressées au ministère de la guerre : demandes de renseignements sur ce qui est arrivé à « leur » homme, ou tout simplement demande de renseignement sur les démarches à effectuer pour le déclarer mort. Les familles sont parfois dans des situations intenables. N’oubliez pas que les femmes, même si elles ont dû remplacer les hommes dans les activités quotidiennes et de travail, n’ont aucun droit sans l’accord de leur mari. Les tribunaux de justice de paix sont envahis par des demandes d’autorisation : autorisation de vendre la ferme qu’une femme seule ne peut plus exploiter, autorisation d’accepter un héritage d’un proche décédé, autorisation de…Il ne reste plus alors qu’une seule démarche possible : faire déclarer le disparu décédé.
La période 1920-1922 est très riche en jugements déclaratifs de décès, trouvés en série U. Même si certains ont lieu bien avant, ils sont en général très sobres. Avec le temps et surtout le nombre de défunts à déclarer mort, certains dossiers sont plus épais et apportent plus de détail sur les circonstances du décès. C’est le cas de René Honoré Claude Brisset, sergent de la 24e compagnie disparu le 1er octobre 1914 au Four de Paris, dans la forêt d’Argonne au moment où il était en patrouille de liaison avec deux hommes de sa compagnie. Aucun témoin ne peut certifier de ce qui lui est arrivé. Les choses sont plus précises pour le soldat Jules Edmond Mathiot, tué par une bombe d’avion et inhumé au nord-est de Villette par les soins de l’ambulance américaine attachée à la 55e brigade américaine. Il y a présomption de décès (j’espère que c’est plus qu’une présomption, s’ils l’ont enterré !!!). Suivent le compte-rendu d’exhumation avec le descriptif de sa plaque d’identification et l’endroit où il a été réinhumé. Dans ces dossiers se trouvent les états de service militaires, copie des actes de naissance, de mariage, certificats des maires… des documents que l’on rêve tous de tenir entre nos mains pour tous nos morts.
Les corps
En dernier, restent les corps. Il faut bien les inhumer quelque part, en général dans des cimetières proches des champs de bataille, mais pas toujours. Certaines familles ont fait rapatrier les corps, aux frais de l’Etat, quand celui-ci le permettait. Des trains dont les wagons n’amenaient comme passager, que des cercueils, pour toute la France. Ces trains étaient annoncés à la préfecture, date et heure d’arrivée, nom des morts et des familles demandant leur rapatriement, et destination finale.
Le convoi du 11 février 1922, est un convoi funéraire partant de Marseille, le 8 février à 13h45 et arrivant à Blois le 11 à 14h53. Il n’y a qu’un wagon pour le Loir-et-Cher et il contient cinq cercueils. L’un est pour la commune d’Angé, et contient le corps d’Eugène Daveau, du 68e régiment d’artillerie. Il va partir vers la gare de Montrichard, à la demande de madame Daveau, née Lelong, domiciliée rue Le Pernas, à Angé. Le second est pour la commune de Fossé. Il contient le corps de Henri Mougella, agent des postes, à destination de la gare de Fossé-Marolles, à la demande de la veuve Mougella, à Fossé. Le troisième est pour Ouchamps. Il contient le corps de Louis Baignet, du 3e zouaves et va, par le tramway, à la gare d’Ouchamps, pour Etienne Baignet, domicilié à Argy, commune d’Ouchamps. Le quatrième est pour Selles-sur-Cher. C’est le cercueil de Jean Rocan, du 175e régiment d’infanterie. La famille demandeuse est Emmanuel Rocan, domicilié place du marché, à Selles-sur-Cher. Le dernier cercueil part pour Vineuil. C’est celui d’Emilien Simon, du 2e régiment de grenadiers, partant pour la gare de Vineuil-Saint-Claude, à la demande de madame Laure Cottereau, habitant 7 rue fontaine à Vineuil.
C’est un petit convoi, il y en a de plus grands. Le processus est toujours le même : le 1er février, le service de « la restitution des corps des militaires et marins Mort pour la France », par l’intermédiaire de l’inspecteur des gares régulatrices de Brienne-le-Château (Aube) et de Marseille (Bouches-du-Rhône) adresse un courrier au préfet l’informant de la date de départ et d’arrivée du train, ainsi que le nombre de cercueils, les noms des défunts et des familles demandant le rapatriement et les gares de destination. Le 4 février, le préfet écrit au directeur des tramways électriques, pour la prise en charge des cercueils qui les concernent.
Le train arrivant à 14h53, l’ouverture du wagon funéraire aura lieu immédiatement et le transfert des corps vers la gare de tramway de Blois est fait. De là, chaque corps rejoint un wagon de tramway pour sa destination.
Le 7 février, l’inspecteur régional de la gare régulatrice de Marseille écrit au préfet pour lui donner le numéro du wagon funéraire (183106), contenant les corps provenant des champs de bataille d’Orient. Ce détail est communiqué le 9 février, au commissaire de police qui en accuse réception le 10. Ces courriers provenant des gares sont doublés et annoncés par télégrammes.
Le détail des transferts est établi : Emilien Simon est transféré à Vineuil par le train Paris-Orléans, départ 17h41 et arrivée en gare de Vineuil-Saint-Claude à 18 h. Henri Mongella est transféré à Fossé par le train d’état, départ 15h45 et arrivé en gare de Fossé-Marolles à 16h. Eugène Daveau est transféré par tramway à vapeur, départ 18h15 vers Montrichard, arrivée 20h16. Les deux derniers partent par tramway électrique : Louis Baignent à 18h15, arrivée à 18h57 à Ouchamps, et Jean Rocan, départ par le même tramway, arrivé à 20h20 à Selles-sur-Cher.
Comme vous le voyez, malheureusement, le processus est bien rodé, les rouages sont bien huilés.
Les archives départementales regorgent de documents pouvant compléter des recherches, voire même apporter des réponses aux questions que vous vous posez. Ils peuvent même pointer des erreurs des feuillets matricules que nous avons tendance à prendre pour argent comptant. Ne vous privez pas de ces sources.
Allez les consulter aux archives départementales avant qu’il ne soit trop tard. Pourquoi trop tard ? Avant qu’une circulaire débile n’autorise leur destruction ou avant que votre dépôt d’archives ne soit plus accessible sans rendez-vous.