Les ateliers Blog 2024 débutent avec “une fête religieuse”, et j’ai choisi une messe de minuit, mais celle dont je vais parler n’a rien eu de festif.
Le 75e mobile dans la sapinière
Le 25 décembre 1870, le 75e mobile, ou du moins ce qu’il en reste, stationne dans une sapinière, en avant de Parigné-l’Evèque, dans la Sarthe, près du château des Houx, le long du chemin aux bœufs. Le Mans n’est qu’à cinq km. La ville et son confort sont si proches, et pourtant si loin de ces hommes.
Il fait un froid glacial. Tout le mois de décembre le sera, qui verra les blessés mourir congelés sur les champs de bataille. L’armée de la Loire bat en retraite et le 75e mobile protège ses arrières.
Pour l’heure, les hommes s’activent à construire des gourbis adossés aux sapins. Ils seront mieux protégés que sous les tentes. Le confort est sommaire mais des feux sont allumés et ils peuvent manger chaud.
Mais les moblots manquent de tout. Les vêtements sont en lambeaux. Les souliers ne tiennent que par la magie des ficelles ou ont, tout simplement, été remplacés par des sabots. Par contre, la nourriture est là, avec des rôtis de bœuf cuits embrochés sur les baïonnettes, sur les feux allumés dans les gourbis. Mais la guerre est toujours là et les hommes suivent l’instruction militaire. Des renforts arrivent aussi, pour compléter les rangs décimés du 75e.
Le 25 décembre arrive. C’est un dimanche. Alors les hommes ont droit au repos. La rumeur a couru la veille qu’il y aurait une messe de minuit dans le camp. Des lettres sont arrivées, ravivant la souffrance de la séparation et l’envie de rentrer à la maison. Alors les moblots attendent cette messe, ils en ont besoin.
La messe de minuit
Les hommes allument de grands feux qui illuminent la forêt de sapin. La neige recouvre le sol en un tapis qui brillent. Les troncs des sapins qui s’élèvent haut vers le ciel ressemblent aux piliers d’une cathédrale. Il agitent à neuf mètres du sol, leurs épaisses ramures chargées de glace.
Une messe de minuit et une cathédrale nécessitent un autel. Alors il est vite dressé avec des caisses de biscuits retournées et recouvertes d’une nappe blanche.
L’aumônier du premier bataillon est là. Cela fait un mois que l’abbé Grelat est à leur côté, nuit et jour. Il console les blessés, bénit les morts malgré son épuisement. Il a rejoint le 75e après la bataille de Coulmiers.
Le silence est impressionnant lorsqu’il monte à l’autel. Des mobiles servent la messe. Les soldats sont a genoux, dans la neige, sur le sol glacé alors que l’ennemi est proche. Tout ce que ces pauvres moblots veulent, c’est une consolation. Ils sont tous en deuil. Chacun d’entre eux a perdu un ami, ou plus, amis d’enfance, amis de combat. Leurs familles sont en terrain conquis par les prussiens, pour les Loir-et-Chériens, Les Mayennais savent que leurs familles risquent de connaître le même sort.
Tous ces hommes, il y a à peine quelques mois, labouraient leurs champs, pour la plupart, sans rien connaître d’autre de la mort que le grand-père qui s’est éteint dans son lit. Ces dernières semaines, la mort a pris un tout autre visage, violent, sanglant, ravageur et si proche.
Alors ils sont tous là, même les non catholiques, pour ce rassemblement miséricordieux. Cette messe de minuit qui leur sera une consolation.
Lendemains de “fête”
Comme un cadeau de Noël, le lendemain, l’intendance distribue des pantalons, des blouses de laine, des souliers et des képis. Le repos et la nourriture abondante ont remis les hommes sur pied, du moins ceux qui n’ont pas gelé. Le 75e a récupéré ses blessés et malades guéris, ses égarés et ses fuyards et reçoit l’ordre de départ. La guerre continue.
Aujourd’hui, à l’emplacement du camp du 75e mobile se trouve le circuit Bugatti qui s’étend le long de l’ancien chemin aux bœufs. L’un des virages en garde le nom.