Eugène Jean Baptiste Avrial est issu d’une famille de commerçants de Carcassonne. Son arrière-grand-père, Pierre Avrial, était aubergiste. Son grand-père, Louis Avrial, était boulanger.
Il aurait pu en être autant de lui, si son père, Baptiste Avrial, n’avait décidé d’une toute autre voie.
Né en 1838, à Carcassonne, Baptiste s’engage dans l’armée, le 6 janvier 1856. Il a dix-huit ans. Il choisit le 14e bataillon de chasseurs à pied. L’armée lui plait tant qu’il se réengage, encore et encore, toujours dans les chasseurs à pied (14e bataillon, bataillon de la garde, 1er bataillon, 24e, 25e).
Il est sous-lieutenant au 1er bataillon de chasseurs à pied, lorsque la guerre de 1870 éclate. Il passe lieutenant, change de régiment pour le 24e, et passe capitaine. La guerre est finie, il obtient le grade de Capitaine major et se marie, à Lilles, bien loin de son Aude natale, avec Marie Eugénie Rosalie Decroix, en 1871. Il a trente-trois ans. Sa carrière militaire continue jusqu’au grade de major. Il prend sa retraite le 23 décembre 1894, au Blanc, dans l’Indre. Il a fait la campagne d’Italie, d’Allemagne, dans l’armée du Nord ; a été blessé par éclat d’obus à Bapeaume, le 3 janvier 1871, et reçu les médailles d’Italie, de Sainte Anne de Russie et la légion d’honneur, dont il est officier.
Baptiste décède le 16 août 1909. Après une telle carrière, comment s’étonner que ses enfants suivent ses traces. Il a deux garçons et une fille.
L’aînée, Clotilde, née en 1872, à Condé-sur-L’Escaut, épouse un capitaine d’infanterie, Henri Jules Le Bœuf, en 1909, au Blanc. Deux ans plus tard, il est chef de bataillon à Philippeville, en Algérie.
Charles Louis Auguste, le second, né en 1875, à Lille, fait exception. Il est employé de commerce, comme ses grands-parents et arrière-grands-parents. Il se marie en 1911, à Saint-Denis.
Le plus jeune, Eugène Jean Baptiste, né le 20 novembre 1876, à Lille, suit les traces de son père et intègre l’école spéciale militaire, en 1897. Elève de première classe le 28 mars 1898, sous-lieutenant le 1er octobre 1899, lieutenant, le 1er octobre 1901, il passe capitaine, le 23 juin 1913, affecté au 113e régiment d’infanterie.
Entre temps, il s’est marié, à Paris, avec Yvonne Marie Jeanne Cator, le 6 juillet 1909. Elle est native de Brest. Son père, Bernard Cator, est professeur de mathématiques au lycée Janson de Sailly. L’armée n’est pas loin, l’oncle de la jeune mariée, témoin à son mariage, Paul Layrle, est contrôleur en chef de la marine. Il a fait vingt-neuf ans et dix mois de services, dont treize ans et neuf mois à la mer (Chine en 1885, Cambodge en 1886, Tonkin en 1894 et Siam en 1895).
Eugène est affecté au 113e régiment d’infanterie, en caserne à Blois et le jeune couple s’y installe, avec leur fils, Jacques Marie Louis Joseph, né à Paris, en 1912.
1er août 1914, mobilisation générale. Eugène est capitaine au 2e bataillon (bataillon Haghe), 5e compagnie. Le lieutenant Blandin est sous ses ordres. Il quitte Blois, avec sa compagnie, le 5 août 1914, par le premier train du régiment, celui de 9h39. C’est le début d’un long voyage vers la mort.
Le 21 août, le régiment est à la frontière belge. Le 2e bataillon, à la suite du 3e, marche sur Ville Houdelemont, en passant par Buré-la-Ville. Ils atteignent Signeulx, où le 2e bataillon et l’Etat-Major vont cantonner.
Le 22 août, vers 5 h 30, le régiment se met en ordre de bataille, et se porte à l’attaque, objectif Baranzy-Genevant-Rochecourt. Le brouillard est intense, le régiment se heurte immédiatement à l’ennemi.
Eugène entraîne ses hommes à l’attaque à deux reprises. Il est blessé au bras mais refuse de quitter son commandement. Sa compagnie subit de lourdes pertes et Eugène refuse de se replier, malgré sa blessure, continuant à se battre avec ses hommes.
L’attaque est un échec et la retraite laisse des centaines d’hommes sur le champ de bataille.
C’est l’hécatombe au 113e. Le capitaine de la Giraudière, adjoint au chef de corps, plus haut gradé encore en état de combattre, rassemble ce qui reste du régiment à Buré-la-Ville. Il est temps de compter ceux qui restent. Les trois-quarts des capitaines sont portés disparus ou blessés, ou tués. C’est le cas d’Eugène.
Eugène est un des disparus de Signeulx
Est-il mort ? Blessé réfugier dans Signeulx ? Prisonnier des allemands ? Le 27 octobre 1914, pour l’autorité militaire qui délivre un acte de disparition, il est officiellement porté disparu, mais son sort reste incertain.
Commence alors, pour sa famille, une longue attente. Des courriers sont adressés à la croix rouge, aux associations de prisonniers, à tous ceux qui pourrait savoir ce qu’il est advenu d’Eugène.
Les courriers tombent dans l’Indre, à Paris, chez les amis et la famille, et les camps de prisonniers sont éliminés les uns après les autres : il n’est pas à Ingolstadt, il n’est pas à la forteresse de Forgau, en Saxe.
Et la lettre tant attendue et redoutée arrive, le 7 février 1916, Eugène est mort sur le champ de bataille et a été enterré près de Mussy-la-Ville.
Trois soldats de sa compagnie certifient l’avoir vu mourir sur le champ de bataille, ils ne sont juste pas d’accord sur le lieu où il est mort. Alphonse Fortuné, prisonnier à Langentalza, dit que cela s’est produit près de Signeulx. René Alouis, prisonnier à Altengraboff, dit qu’il est mort à Signeulx même. Peltier, dit que c’est arrivé à Baranzy. Impossible de trancher sur le lieu où est mort Eugène, mais la certitude est là : Eugène est mort, le 22 août 1914. D’après les autorités allemandes, il est décédé près de Mussy-la-ville où il est enterré.
Le 9 novembre 1916, le tribunal civil de Blois, sur la fois de ces témoignages, déclare son décès en date du 22 août 1914, au cours du combat de Signeulx, et fait rédiger un acte de décès, dans ce sens, à l’état civil de la commune de Blois.
Eugène est inhumé au cimetière de Musson-Baranzy, dans la tombe individuelle numéro 423. Il avait trente-sept ans. La croix de guerre étoile d’argent lui est décernée, ainsi que la légion d’honneur, le 19 juillet 1919.
Son nom rejoint celui de ces camarades dans le livre d’or de l’école spéciale militaire de Saint Cyr, de la promotion Bourbaki (1897-1899).
Il laisse une veuve de vingt-neuf ans, un petit garçon, Jacques Marie Louis Joseph, âgé de deux ans.
Son nom est gravé sur le monument aux morts de la ville de Blois.
Qu’en est-il de son frère et de son beau-frère ?
Après avoir vécu en Angleterre, puis en Argentine, Son frère, Charles Louis Auguste est de retour en France lorsque la guerre éclate. Il est mobilisé le 16 août 1914, à la 9e section des commis et ouvriers, stationnée à Tours. Il fait campagne à l’intérieur jusqu’au 14 juin 1916, avant de partir en zone de guerre. Il y reste jusqu’au 29 janvier 1919 avant d’être démobilisé.
Son beau-frère, le lieutenant-colonel Henri Jules Le Bœuf, est porté disparu, lui aussi, le 15 septembre 1916, mais en Algérie. Il n’était pas mobilisé. Son corps sera retrouvé dans le Sahara, en janvier 1918. Il laisse deux filles, de quinze et onze ans.
Un grand merci à Stanislas PALEWSKI (spalewski) pour les photos d’Eugène Avrial qui restent sa propriété exclusive.